jeudi 21 décembre 2023

studio du Québec à NYC : jours 133-134-135-136-137-138-139-140-141-142 sur 151

11 décembre @ The Parkside Lodge, Lower East Side Manhattan
Vorhees (guitare, électroniques)
Kevin Kenkel (électroniques, synthétiseurs)
Phong Tran (électroniques)

Finalement, le concert où j'avais prévu aller a bel et bien été annulé pour respecter l'appel à la grève mondiale en ce lundi 11 décembre. En parallèle, dans notre monde de paradoxes, d'autres concerts avaient lieu et, en cette dernière soirée avec de la visite de Québec, on a été dans la salle du fond d'un petit bar du Lower East Side assister à un évènement plutôt du côté de la musique électronique ambiante. Il y avait une boule disco sur laquelle était dirigé deux faisceaux bleus, ce qui nous donnait l'impression étourdissante de tenir en équilibre dans un aquarium géant. La musique était bien, mais nos vies n'auront pas été changées par ce concert. ll s'ajoute toutefois à tous les autres que je vois et qui donnent envie de présenter ce qu'on fait seul dans sa chambre, en version vulnérable devant le public. Je me suis rappelé toutes les soirées que je passais, adolescent, à jouer de l'orgue avec l'arpégiateur. J'étais bon! Je n'ai jamais présenté ça à personne.

Mardi 12 décembre

12 décembre @ Roulette, Boerum Hill Brooklyn
AM/FM [gabby fluke-mogul (violon amplifié), Ava Mendoza (guitare électrique)]

Je suis bien content d'être sur la liste d'invités à ce concert, une attention, un honneur, sentir qu'on compte nouvellement pour quelqu'un, même si l'invitation à être sur la liste avait été étendue à toustes les participant·es du Open Box du 3 décembre passé. J'arrive au concert presque en retard, j'entre et je reconnais déjà quelques visages sympathiques qui me sourient et m'invitent à prendre place avec elleux. La musique? J'avais vu AM/FM jouer dans la rue au mois d'août, lors d'un évènement informel destiné aux enfants du quartier, et je note le contraste de retrouver sensiblement la même musique, cette fois dans l'écrin de la prestigieuse Roulette où gabby fluke-mogul bénéficie d'une résidence cette année. Violon aux influences violoneux, guitare très assumée rock. Ne manquait plus que la basse et la batterie, dont l'absence enrichissait probablement plus l'expérience que si elles avaient été ajoutées.

Mercredi 13 décembre

Je retrouve la solitude bienheureuse de l'appartement après une belle semaine de visite quand même. Jour de congé, laver les draps et autres tâches connexes. En fin de soirée j'écoute un deuxième film dans ma série « j'écoute des films qui se passent à New York ». Cette fois, American Psycho. Un classique, un truc assez sanguinolent qui ne manque pas de bien se moquer des jeunes financiers de Wall Street tous pareils. Il y a une séquence marquante où les collègues de travail révèlent tour à tour leur nouveau design de carte d'affaire personnelle. Les cartes sont vraiment presque identiques, mais on nous montre la souffrance extrême du personnage principal, dont la carte d'affaire serait inférieure aux autres. Divulgâcheur : il tue le collègue avec la plus belle carte pas longtemps après. Je n'ai rien appris de bien édifiant ce soir là.

Jeudi 14 décembre

Journée complète de rédaction pour un appel de dossiers en Allemagne. Ça fait longtemps que je le vois venir celui là, mais j'avais d'autres choses prioritaires ahhhh. Je ne vais pas nager, même si c'était le plan. J'enchaîne avec le concert que j'avais prévu aller voir.

14 décembre @ The Stone at the New School, West Village Manhattan
QUARTET 2 [Lotte Anker (sax), Ikue Mori (électroniques), Ches Smith (batterie), Craig Taborn (piano)]

C'est au tour de la grande Ikue Mori d'avoir une semaine de résidence à The Stone. Musique incroyable, j'apprécie réentendre Lotte Anker dans ce contexte plus intime que la semaine dernière à Public Records. Quelle saxophoniste! Elle a tellement sa propre voix. On ne peut pas, en l'écoutant, se dire par exemple ah, tel saxophoniste aurait joué plus vite, tel saxophoniste aurait tenu plus longtemps. En assoyant son langage si personnel, il n'y a aucune comparaison possible. Je dis souvent pour moi-même que je ne peux pas faire partie d'une liste, à moins d'être premier. Je préfère ne pas être listable.

Je suis content d'entendre le pianiste Craig Taborn dans ce contexte plus expérimental que la semaine passée quand je l'ai vu dans le projet de Caroline Davis.

Il y a eu bien des changements dans l'organisation de cette semaine à The Stone, car ni leur site officiel, ni nyc-noise, ni le site officiel de Ikue Mori n'affichent les bonnes informations au sujet des musiciens. Si bien que je demande à Ikue Mori avec qui jouera samedi (un des sites mentionnait John Zorn, fake news!). Je suis content de ne pas avoir été impliqué là dedans. Sérieux, quel bonheur d'une vie artistique riche pour laquelle on n'a absolument rien d'autre à faire que se pointer et profiter. Ça fait changement de toute l'organisation dans laquelle je m'implique habituellement.

Ikue Mori me reconnaît, il faut dire qu'on s'est croisé plusieurs fois. Elle a même l'air contente de me voir, comme quoi. Je pense aller à l'évènement spécial qui souligne ses 70 ans dimanche prochain. Décidément, les 70 ans ont la cote.

Vendredi 15 décembre

Journée complète de rédaction pour l'appel de dossiers en Allemagne. Ça chauffe, les questions sont assez générales, les réponses ne doivent pas dépasser 2500 caractères. Il faut lutter contre la fuite de motivation devant la certitude de devoir remettre quelque chose de bâclé. De semi-bâclé. Je pousse la machine pour que ce soit le moins bâclé possible. Remettre un brouillon, mais remettre le meilleur brouillon possible, et au moins remettre quelque chose. Encore une bouteille à la mer.

15 décembre @ P.I.T. Property is Theft, Williamsburg Brooklyn
Kwami Winfield (électroniques, trompette)
Duo [Brandon Lopez (contrebasse), Fred Moten (poésie)]

Je vais quand même voir un concert ce soir. Je fais bien fait d'y aller. Kwami livre la marchandise encore, je suis impressionné par sa façon de structurer le temps et d'utiliser tous les dispositifs électroniques rudimentaires qu'elle manipule. Puis Fred Moten et Brandon Lopez jouent dans la même veine que ce que je les avais entendu faire le 1er octobre dernier. De temps en temps, Brandon Lopez y va d'une intervention vive qui a l'effet quasiment d'une claque dans face, et le poète Fred Moten s'en sert pour propulser ses mots. Dans ces moments quand même assez rares, j'aime voir Fred Moten un peu surpris, comme tout l'auditoire, sourire en coin parce qu'il aime ça. Il lit un texte avec plein de mots se terminant en -ide, et retient pendant de longues minutes le moment où il prononcera ce mot dans tous les esprits ces jours-ci : « génocide ». En plein dans le mille.

Samedi 16 décembre

Journée complète de rédaction pour l'appel de dossiers en Allemagne. La pression monte, la pression monte. Date de tombée demain. Ça avance. J'écris ceci moins d'une semaine plus tard et est-ce que j'ai été nager avant d'aller au concert de Ikue Mori comme je l'avais prévu? Aucun souvenir.

16 décembre @ The Stone at the New School, West Village Manhattan
TRIO [Makigami Koichi (voice, theremin), Ikue Mori (electronics), Ned Rothenberg (sax, clarinet, shakuhachi)]

Koichi à la voix et thérémine, vraiment assumé dans une certaine maladresse. Une maladresse virtuose, tiens ça pourrait être le sujet d'une recherche. Un angle. Cette virtuosité qui passe non par la rapidité d'exécution, mais par la proximité risquée au ridicule, dont on s'approche sans jamais lui toucher. Funambulisme précaire aussi satisfaisant pour le public que la tension de voir un interprète se torcher un passage particulièrement casse-gueule de Chopin ou Rachmaninoff. 

Dimanche 17 décembre

Dépôt de mon dossier pour l'Allemagne ce midi. J'obtiendrai une réponse l'été prochain! Suspense soutenu.

Puis, au lieu d'aller au party de fête et concert pour Ikue Mori, je me dirige vers la reprise du concert qui avait été annulé lundi passé pour la grève mondiale.

17 décembre @ Sisters, Clinton Hill Brooklyn
série Assembly #12, commissaires : Lester St. Louis, Luke Stewart
Basquiat Blues [Hans Binter-Young (clavier), Heru Shabaka-Ra (trompette, voix), ??? (flûte traversière, piccolo, percussions)]
Nate Wooley's Mutual Aid Music [gabby fluke-mogul (violon), Joshua Modney (violon), Lester St. Louis (violoncelle), ??? (contrebasse)]
Qiujiang Levi Lu (électroniques)

Surprise, je rencontre par hasard un Québecois. Première fois que ça m'arrive en presque 5 mois. On s'était présenté lors du Open Box du 3 décembre, sans se rendre compte de nos origines communes. C'est lui qui a allumé par après, en voyant mon nom complet sur instagram. #monnomest

On parle en français dans la petite salle de Sisters et j'ai l'impression de tricher, l'impression de briser mon immersion, comme si c'était un cours d'anglais à l'école. Il a une histoire intéressante, comme tout le monde ici en fait. Originaire des environs de Trois-Rivières, doctorat en philosophie, joue de la flûte traversière sans en faire sa vie.

Soirée de musique incroyable, en particulier Basquiat Blues où le trompettiste Heru Shabaka-Ra se met de temps en temps à parler, à nous invectiver, à dénoncer (je pense), en arabe (je pense), soutenu par le jeu incomparable du clavieriste Hans Binter-Young, qui a cette fois accès à un subwoofer puissant. La soirée se termine par un solo de Levi Lu et on en a eu pour notre argent ayoye. C'est la troisième fois que je vois Levi Lu à l'œuvre avec son joystick, son laptop dans lequel iel crie, ses senseurs, la percussion corporelle, etc. Ce soir, iel ajoute un dispositif qui lui permet de contrôler le son en penchant plus ou moins l'écran d'ordinateur, ou en jouant sur le bord avec un archet. Iel donne un tout nouveau sens à « jouer de l'ordinateur », iel joue de l'objet en soi. Philosophez! Combien d'autres personnes dans le monde jouent de l'ordinateur en frottant littéralement l'archet sur le rebord de l'écran? Je vais voir Levi Lu après le concert. Wow bravo. Iel me reconnaît des concerts précédents. Je lui propose spontanément de jouer avec moi à l'appartement s'iel a le temps. La réponse est oui! Aucune hésitation. Ok. Pousser. Manifester.

Lundi 18 décembre

Première journée après le rush de rédaction. Brûlé en sacrament. Et tout ça a quelque chose de ridicule il me semble. Je me vois me créer mon rush tout seul, un bon gros rush d'une semaine complète pour le projet de tournée en duo en novembre 2024, je me remets de ça, souffle 2-3 jours alors que je reçois de la visite, puis aussitôt c'est la date limite pour l'appel de projet en Allemagne. Si je l'obtiens celui-là, c'est pour 2025! À la pêche dans le futur incertain.

Aujourd'hui j'ai une session à l'appartement avec un super guitariste. Il vient plutôt du indie rock, du jazz, mais développe une pratique en musique improvisée. On s'est rencontré dans un concert à P.I.T. En jouant, on se trouve. On jase, très cool.

Le soir, je me force à aller au yoga. Je fais mes au revoir aux madames que j'ai côtoyées pendant tous ces lundis depuis août. C'est le début des adieux. J'offre une salutation que j'aurais voulue un peu plus emphatique à la prof, qui m'a vraiment apporté beaucoup ne serait-ce qu'en étant l'unique figure de stabilité de mon séjour. Tous les lundis. Dès août, elle a appris mon nom, me demandait comment ça allait, si j'avais des demandes spéciales pour la séance. On s'est croisé une fois dans la métro et on s'est salué alors que je ne connaissais personne. Je me rappelle de ce moment spécial. Pas de concert ce soir après le yoga, retour à pieds, pointe de pizza à 1$ en chemin.

Mardi 19 décembre

Les trois personnes que je connais de la Délégation du Québec à New York passent à l'appartement ce matin. Évaluer de contrat pour un service de ramassage de gros déchets, car on se débarrasse de plusieurs chaises, matelas, meubles après mon départ. Eh bien!

Je suis vraiment sonné des derniers jours de rédaction, congé aujourd'hui encore, je tourne en rond. Je vais lire un peu et prendre un café au Plantshed (magasin de plantes et café, j'en voudrais mille comme ça), nager au YMCA, puis je fais une dernière grosse épicerie au Whole Foods.

Mercredi 20 décembre

Rendez-vous téléphonique aux conséquences bien déplaisantes ce matin. Ma collègue du duo novembre 2024 vient de se booker un concert par dessus nos dates de tournée. Il faut donc que je déplace toutes les dates. Que j'écrive à Chicoutimi, Rimouski, Québec, Montréal, Toronto, que je fasse chier tout le monde avec ça, moi le premier.

Puis Levi Lu vient me rejoindre pour une session en duo. Yeah! Je filme, je mettrai ça en ligne bientôt. Très hot. On soupe ensemble des végé burgers du Whole Foods. Iel joue en concert ce soir, mais je préfère aller voir le violoncelliste Lester St.Louis. On parle de ça, comment chaque soir à New York on manque tellement de concerts. Il faut choisir, pas le choix.

20 décembre @ Bar Laika, Clinton Hill Brooklyn
dans le cadre de Satellite 27
Black Renaissance Fair [Bookworms (électroniques), Lester St. Louis (violoncelle, électroniques)]

Jeudi 21 décembre

Aujourd'hui je vais finalement au café Black Cat, que mon ami Amaar me recommande depuis des mois. C'est un oui! Plusieurs divans, plusieurs tables, des gens qui jasent, des gens sur leur ordi, un vieux piano dont personne ne joue — aussi bien comme ça, car je n'ai rarement passé un bon moment près d'un piano public en cours d'utilisation —, le café est pas très bon, la bouffe non plus et le service exécrable, ce que j'apprécie beaucoup. J'ai toujours été fan des baristas bêtes comme leurs pieds. Peut-être parce que ça déplait à tout le monde, ce qui chatouille agréablement que mon sentiment d'opposition. Peut-être parce que je crois si fort qu'il faut mettre le moins possible de son âme dans un travail que l'ont fait pour survivre et non par passion, surtout un truc sous-payé comme du service comme ça. Alors 10/10 pour le Black Cat. À quand un seul café à Québec où il y aurait un divan? Juste un! Ou un fleuriste qui serait un café en même temps.

Ce soir, je vais voir le grand La Monte Young, 88 ans, dans son espace à la Dream House. À suivre.