dimanche 31 décembre 2023

studio du Québec à NYC : jours 143-144-145-146-147-148-149-150-151 sur 151

21 décembre @ Dream House, Tribeca Manhattan
Studies in The Bowed Disc, de La Monte Young [Jung Hee Choi (archet sur disque de métal), La Monte Young (archet sur disque de métal)]
sur le disque de métal Gong for La Monte Young (1963), de Robert Morris
mis en lumière via Imagic Light, de Marian Zazeela et Environmental Composition 2017 #1 v. 2, de Jung Hee Choi

J'attends dehors pendant une bonne demi-heure. Il fait froid, on n'est pas habillé comme il faut, on est des New-Yorkais. Connaissant l'espace, je me demande comment tous ces gens vont entrer dans la Dream House. On entre enfin. 3 étages d'escaliers étroits. Il faut enlever les souliers, pas de photos, pas vidéos et on demande de garder le silence. J'aime bien l'atmosphère créée par ce silence, ces rares voix chuchotées. Finalement tout le monde entre sans problème, nous sommes assis en tailleur sur le tapis blanc de la Dream House, devant le Gong for La Monte Young de Robert Morris baignant dans la lumière magenta, bleue, mauve caractéristique de l'espace et de l'artiste visuelle Marian Zazeela qui la signe. Un temps passe, les notes de programme sont imprimées sur un papier blanc lustré très épais, j'ai l'œil pour la qualité. Parmi les textes, une demande de ne pas applaudir à la fin. Ok. Est-ce que tout le monde est au courant?

Puis La Monte Young entre, sa chaise roulante poussée par un assistant qui l'amène devant la photo de Pandit Pran Nath que j'avais remarquée lors de ma première visite. Je ne suis pas trop au courant de la teneur de cet autre personnage. La Monte Young a l'air d'un vieux motard, jeans noirs, veste pas de manche, avait-il même un manteau de cuir? une casquette de cuir? des lunettes soleil? La barbe blanche pointue pas du tout du style père Noël. Tout un look. Est-ce que c'est pour ça qu'il est passé derrière d'autres amateurs de sons étranges, mais habillés de chemises blanches? Il est aussi accompagné de Jung Hee Choi, une artiste à part entière, bien qu'elle ne soit connue principalement que comme disciple de Young et Zazeela.

La Monte Young est prêt, archet de contrebasse à la main, derrière le disque de métal dont il jouera dans le bas à gauche selon mon point de vue. Jung Hee Choi est prête, archet de contrebasse à la main, devant le disque de métal dont elle jouera dans le haut à droite selon mon point de vue.

C'est parti et dès le premier geste on a toute la pièce. 45 minutes au total? Le disque est amplifié et crée tout un univers de sons grinçants, enveloppants, qui vibrent parfois fort dans le grave, parfois ténus dans l'aigu. Les deux interprètes se regardent l'un·e l'autre de temps en temps, mais jamais leur regards ne se croiseront avant la fin.

Le style de jeu me surprend, c'est ce que je retiens de ce concert. Chacun·e à leur façon, les deux parviennent à jouer sans intention. C'est les mots qui me viennent : jouer sans intention. Sans affect, sans émotion. On me prêterait un gong et un archet de contrebasse en concert et je sais tout suite que j'en jouerais avec passion, avec tout mon corps, avec poésie, avec aplomb, avec fougue, avec retenue, avec nuance, enfin j'en jouerais comme je joue du violoncelle je suppose. Ici, on a quelque chose d'opposé à ça, et tout aussi intéressant. Les deux artistes jouent de l'archet sur le disque. C'est tout. Il y a une tâche à accomplir, et la tâche est de passer l'archet à leurs spots respectifs de chaque côté. Pas de faire une musique avec des hauts et des bas, une narration, une progression. Pas non plus une esthétique de maîtrise sonore statique où c'est tout le temps exactement le même son. Non, le son change, il se passe quelque chose, mais... oui l'intention est importante, ce choix, ce mode de jeu « sans intention » est une intention, l'intention zéro, ce n'est pas un hasard.

Puis c'est fini avec aussi peu d'intention que ça a commencé. Le disque finit de résonner. L'assistant vient chercher La Monte Young. Pas d'applaudissements, personne ne parle, personne ne tousse, personne n'a toussé du concert! J'en reviens pas, quel public! Les gens quittent, nous sommes un peu sonnés.

Vendredi 22 décembre

J'ai rendez-vous avec des amis sur zoom ce matin, c'est bien de se donner des nouvelles. Puis je fais le montage de la vidéo prise avec Levi Lu! Je suis fier du résultat, j'ai travaillé les couleurs, c'est beau. Et la musique est vraiment bien. Levi aime aussi.

Le volume de concerts a passablement diminué sur mon site préféré nyc-noise à l'approche de Noël. J'avais prévu aller voir le concert en l'honneur des 90 ans du grand Phil Niblock ce soir, mais finalement je vais prendre un café, je niaise, c'est correct. 

Samedi 23 décembre

Début de journée qui grafigne alors que le détecteur de fumée se met à couiner à toutes les 40 secondes. Je regarde des vidéos youtube qui m'apprennent que la pile qui doit être faible. Je stresse parce que je ne suis pas bien éveillé et je me demande si les gicleurs ne vont pas partir si je fais un faux mouvement en essayant de décrocher le détecteur. Je ne trouve pas d'interrupteur assigné au détecteur sur le panneau électrique. Le responsable de la Délégation ne répond pas. Je me prépare à sortir chercher une batterie au dépanneur. Juste avant de partir, je sors l'escabeau et manipule le détecteur très délicatement. Il se détache du plafond. Il n'était pas connecté à l'électricité! Je sors la batterie et ça arrête de crier. Enfin je peux réfléchir. Ah tiens, une date d'expiration sur le détecteur de fumée... 2021. Il pouvait bien crier.

Je pense aux Palestinien·nes, qui vivent sous le son des bombes, des drônes, des ambulances, des cris. Moi j'ai eu un « bip » aux 40 secondes pendant une heure et je n'aurais pas pu endurer ça plus longtemps, encore moins travailler, m'organiser, faire à manger, trouver des solutions à d'autres problèmes plus graves. Les réalités ne se comparent pas. Mes pensées inutiles pour Gaza, dans le gros appartement de riche au dessus des sacoches Chanel.

Tant qu'à être prêt à sortir, je passe une partie de la matinée au café, je ne suis jamais sorti aussi tôt de l'appartement. Tout est bien tranquille à 9 h dans Soho.

Pratique de violoncelle, je reprends le travail sur la Particule 2. Puis je vais rejoindre mes amis T. et J., on va souper ensemble avant d'aller voir le nouveau film de Miyazaki au AMC sur la 34e rue. Oui la 34e rue comme dans le film Miracle sur la 34e rue! 

Dimanche 24 décembre

Petite journée. Les anti-fourrure manifestent très près de chez moi devant le magasin Marc Jacobs. Ce sont les mêmes que j'avais vus et entendus près du Louis Vuitton il y a quelques semaines et que j'entendrai de nouveau au Woolrich (traduction libre : laine de riche) dans quelques jours, où on se dépêchera de laver l'attaque à la peinture rouge. Je vais nager en après-midi. Je soupe en lisant dans un petit café italien croisé sur le chemin en revenant. Je m'installe ensuite au violoncelle à l'appartement pour une rare pratique vespérale.

Lundi 25 décembre

Je passe une partie de l'après-midi à lire au Caffe Reggio, c'est bondé de monde. Puis direction Brooklyn pour non pas un, mais deux concerts.

25 décembre @ Ornitology Cafe, Bushwick Brooklyn
Alon Benjamini Trio [Alon Benjamini (drums), Pablo Menares (contrebasse), Tom Oren (piano)]

25 décembre @ Ornitology Jazz, Bushwick Brooklyn
quartet [Jon Elbaz (piano), Henry Fraser (contrebasse), James Paul Nadien (drums) , Mike Troy (saxophone)]
trio [??? (drums), ??? (guitare électrique), ??? (sax)]
duo [??? (voix), ??? (piano)] 

James Paul Nadien est l'un des musiciens que j'aurai vu le plus souvent au cours de mes 5 mois à New York. Ce n'est pas un hasard, il est vraiment bon, énergique, rapide, excessif, inventif, polyvalent, j'aime le voir jouer, et il joue en concert très souvent, toujours dans des contextes différents. Il travaille aussi à Downtown Music Gallery, ce magasin de disques où le propriétaire Bruce présente des concert gratuits de musique improvisée tous les mardis depuis 30 ans.

Je suis bien content de voir que James Paul Nadien joue au fameux club de jazz Ornitology, moi qui me disais justement que je n'avais encore vu aucun jazz dans cette ville si importante pour l'histoire (passée et actuelle) de cet autre pan de la musique. Ça me donne l'occasion d'y aller.

En arrivant à Ornitology par contre, James Paul Nadien n'est pas là et je me dis qu'il doit y avoir eu un changement de dernière minute. J'écoute le concert présenté à la place, un super bon trio à peine amplifié, qui joue leurs versions de pièces de Joni Mitchell. C'est drôle, mais c'est rare que des hommes jouent la musique d'une femme. Pensée comme ça. Les choses évoluent trop lentement. 

En payant ma tisane à la fin de la soirée, je demande au barman s'il reste encore de la musique. Il me dit que non, mais que juste à côté il y a un open jam ou je ne sais trop. Où ça? Au Ornitology. C'est pas ici, Ornitology? Oui, mais... Voilà pour l'anecdote, en bon touriste je ne savais pas qu'il y avait deux endroits distincts, appelés Ornitology, à la même adresse. Mon relevé de carte de crédit m'apprend que l'un est le Ornitology Cafe et l'autre le Ornitology Jazz. Et le rapport entre ornitologie et jazz? Assurément la pièce Ornitology du grand jazzman Charlie Parker, surnommé Bird, l'oiseau. Bon, alors je traverse et je vois la fin du show que j'étais venu voir.

À l'ère de la story instagram, les informations passent et s'autodétruisent bien vite. Je suis chanceux de retrouver sur le site web de Ornitology les noms des musiciens qui jouent officiellement ce soir là avec James Paul Nadien. Puis c'est une scène ouverte. J'aime l'organisation spontanée de la chose, suivant une certaine tradition, les musiciens qui veulent jouer s'assemblent et choisissent une pièce du répertoire. Ce n'est pas trop compliqué puisque le répertoire des standards de jazz dans ce genre de contexte se limite à peut-être 100-150 pièces que chaque jazzman qui se respecte a joué des milliers de fois. Il n'y a pas de présentation, personne ne semble en charge, un groupe se forme, joue une pièce (ça dure une quinzaine de minutes), puis cède la place, j'aime ça. Par contre qui dit standard dit standardisé : le sax joue le thème, puis se prend un solo sur quelques enchaînements des accords du thème, puis il y a un solo de piano ou de guitare ou de l'autre sax, puis l'autre et l'autre, se terminant immanquablement par le solo de batterie en formule 4 mesures instrumentales, 4 mesures batterie seule, 4 mesures instrumentales, 4 mesures batterie seule, etc.

Incursion dans le monde du jazz, donc. Super beau petit bar, bonne écoute de tout le monde, mais la vibe est vraiment différente des concerts de musique improvisée. Premièrement, il n'y a pas de femmes parmi les musiciens. Ou si peu à part d'une chanteuse ce soir là. J'avais oublié cette particularité du monde du jazz et du rock. Pas de femmes, encore moins de personnes trans ou de la diversité de genre. Ensuite, il y a comme une attitude de démonstration technique dans la musique; il semble que chaque soliste doit se prouver, effectuer des prouesses techniques. Au détriment de la musique? Enfin, je trouve que le format du tour de solos limite tellement les possibilités. Ça met tout le monde qui joue, sauf le soliste, en posture d'accompagnement passif alors qu'il pourrait y avoir un bouillonnement d'idées, une bousculade fertile, même en suivant la grille d'accords. C'est ce que j'apprécie des albums plus tardifs de John Coltrane (qui a fini par virer complètement free jazz) et Wayne Shorter (qui est resté plus traditionnel; son album Without a Net, enregistré en concert en 2013, est le meilleur jazz que j'ai jamais entendu : aucun tour de solo, ils y vont au pif selon l'inspiration, ils se coupent, s'influencent, c'est poignant).

Mardi 26 décembre

Rien à signaler en cette journée de l'entre Noël et jour de l'an, où même à New York il y a beaucoup moins d'offre culturelle. J'en profite pour retourner nager une dernière fois à la piscine du Community Center at Stuyvesant High School.

Mercredi 27 décembre

Rien à signaler en cette autre journée de l'entre Noël et jour de l'an. Je fais une bonne pratique de violoncelle, de retour au travail sur la Particule 2, ça avance. Je travaille un peu pour une réunion des comités du GGRIL. En fin de soirée vers 21 h, j'ai envie d'un morceau de gâteau dans une ambiance de café pour aller lire quelques pages de Proust. Eh bien, je suis à New York! le Caffe Reggio a tout ça, jusqu'à 3 h du matin si je veux, à quelques minutes de marche. Je tombe par hasard sur mon ami A., on en profite pour se faire nos adieux. Je vais m'ennuyer de ça à Québec, où même au centre-ville tout est fermé depuis longtemps à 20 h. Et ce qui est ouvert le reste du temps est loin d'être inspirant.

Jeudi 28 décembre

Je suis dans mon sprint final. La journée commence par une session avec K. W. à la trompette (techniquement, l'instrument dont elle joue s'appelle un cornet). On se rejoint à la galerie d'art pour laquelle elle s'implique, un bel espace DIY à la fois dans le feu de l'action, dans le très hip et trash quartier Bushwick à Brooklyn, et comme cachée, façade colorée parmi d'autres façades colorées sous les rails du métro aérien ici. En tout cas l'acoustique est bonne pour le violoncelle dans cette pièce, on joue vraiment bien ensemble. Et c'est un peu un moment de boucle bouclée, car K. W. est la première personne avec qui j'ai joué à New York, le 27 août dernier.

28 décembre @ Williamsburg Brooklyn
Darlin' [Wendy Eisenberg (guitare électrique), Ryan Sawyer (drums), Lester St. Louis (violoncelle)]

Un autre aller-retour à Brooklyn après être rentré porter le violoncelle et manger à la maison. J'aime revoir le trio Darlin' en ce 28 décembre, après les avoir vu une première fois le 1er septembre à Public Records, une salle de spectacle plus officielle où on leur avait donné du « gros » son. Ce soir, la batterie n'est pas amplifié et les idées sont différentes. Je n'entends pas grand chose du violoncelle à vrai dire.

Ça fait réfléchir, tous ces concerts où le violoncelle n'est pas amplifié assez fort. Ça me rappelle l'importance d'être bien équipé et de faire bien attention à la personne au son, s'il y en a une.

Vendredi 29 décembre

J'étais supposé jouer avec S. S. A. J., la tromboniste, aujourd'hui, mais elle a annulé. À la place, j'ai donc une journée d'avance pour commencer mes bagages. Du stock pour 5 mois, il finit par y en avoir partout. Quoique.

Puis j'ai la visite de L. S. L., le violoncelliste. On se promet cet échange depuis des mois et les astres s'alignent enfin! On se fait un café (court, noir) et on jase de la vie un peu. Il essaye mon archet monté en crin noir (la grande majorité des violoncellistes jouent sur crin blanc). J'essaye son cordier sans ébène (la grande majorité des cordiers comportent une grande pièce de bois). Il essaye mon violoncelle avec la pédale Particule 2 (je manipule les pitons). J'essaye son archet de sarangi (ça va me prendre ça). Il essaye de manipuler la Particule 2 (je joue le violoncelle). On joue ensemble sans jouer ensemble, très particulier!

Je crois que c'est la première fois que je rencontre un collègue comme ça, avec qui je partage non seulement l'instrument, mais aussi la pratique en musique improvisée au même niveau. Je me rends compte plus tard que le 29 décembre est la journée internationale du violoncelle. Eh bien! On a bien fait ça. On se promet de se revoir bientôt, soit à Montréal, New York ou Berlin.

Puis je vais rejoindre J. et T. pour un dernier souper ensemble au Izakaya MEW. On va prendre une bière à DBL et je pense qu'en 5 mois à New York, c'est seulement la deuxième fois où je vais dans un bar sans concert. Décidément pas mon truc, ni la bière, ni le bar, mais le temps est bon avec ces deux nouveaux amis. On se promet de se revoir bientôt, soit à Québec, Montréal ou New York.

Samedi 30 décembre

Une journée à finir la bagages et à faire le ménage dans l'énorme appartement. Je tourne tellement en rond! Il me reste trois missions à accomplir avant de partir.


Premièrement, un selfie à la St Francis Xavier Church. C'est ici qu'a travaillé le violoncelliste, compositeur, chef et organiste Antoine Dessane de1865 à 1869. Je m'intéresse à ce personnage depuis que j'ai vu son violoncelle dans la collection du Musée de la civilisation à Québec. En bref — et là je déroule mes connaissances principalement de wikipédia — Antoine Dessane nait en 1826 en France où il se forme en violoncelle, piano et orgue au fameux Conservatoire de Paris. Parmi ses collègues de classe de l'époque, Cesar Franck et Jacques Offenbach auront des carrières pas mal plus remarquées. Antoine Dessane se marie à 21 ans, avec une de ses élèves, avec qui il aura 9 enfants. À 23 ans, les choses ne sont pas faciles suite à la révolution de 1848 en France et il accepte le poste d'organiste et maître de chapelle à la Basilique Notre-Dame dans le Vieux-Québec. Il semble alors être devenu un personnage très important de la scène musicale de la ville de Québec. Pendant 15 ans, il y forme des ensembles, dirige des concerts, joue du violoncelle, etc. en plus de ses fonctions d'organiste. Mais un moment donné ça ne va plus au travail et il accepte un poste à St Francis Xavier Church, New York City, où il déménage avec toute sa famille. 4 ans plus tard, il revient à Québec où il devient organiste de l'Église Saint-Roch. Il continue alors toutes ses affaires, ensembles et concerts en plus de fonder une chorale, écrire un manuel d'orchestration et jeter les bases d'un conservatoire local inspiré de Paris. Malheureusement, la santé ne suit pas et il meurt à peine 4 ans après être revenu à Québec, en 1873 à l'âge de 46 ans (47 ans selon wikipédia, je crois qu'il y a erreur).

Je me reconnais un peu en Antoine Dessane, avec toutes ses activités et compositions, mais surtout ses lieux de vie près de la basilique Notre-Dame où j'ai fait mon secondaire dans le Vieux-Québec et aux alentours de l'église Saint-Roch où j'ai bummé en masse. Il était toutefois un musicien de la tradition classique, à tel point qu'un de ses ensembles, le Septette Club, deviendra après quelques évolutions, bien des années plus tard, l'Orchestre Symphonique de Québec. D'un autre point de vue, Antoine Dessane tout comme moi s'intéresse et défend la musique de son époque. Je serais curieux de voir les œuvres au programme de ses concerts. Choisit-il de jouer la musique de compositeurs vivants? En tout cas, j'ai peut-être un petit projet secret Antoine Dessane, à suivre. 

Deuxièmement, salutations à l'un des plus grands artistes du XXe siècle, l'artiste visuel, artiste conceptuel et artiste en art performance allemand Joseph Beuys. Me voici en compagnie d'un fragment de son œuvre monumentale 7000 Eichen – Stadtverwaldung statt Stadtverwaltung. Encore un peu d'histoire. Invité en 1982 à participer à un festival d'art à Cassel en Allemagne, Beuys fait déposer un énorme tas de pierres de basalte, le tas prenant la forme d'une flèche pointant vers un chêne, devant le lieu d'exposition. Il déclare que pour bouger une pierre, il faudra planter un chêne. S'en suit un travail énorme où, en 5 ans, Beuys et une équipe de bénévoles plantent 7000 chênes, chacun accompagné de sa pierre de basalte. À New York, la fondation Dia s'occupe de 37 arbres (pas tous des chênes, mais rendu là on s'en balance), chacun avec sa pierre, dont 18 sont situés sur la 22e rue entre la 10e et 11e avenues, où je suis sur la photo.

D'après ce que je lis sur l'œuvre, 7000 chênes est politique et sociale. Le sous-titre Stadtverwaldung [« enforestration » municipale] statt [au lieu de] Stadtverwaltung [administration municipale] (ma traduction) met bien l'accent sur le type de monde dans lequel Joseph Beuys et ses collègues de l'Internationale situationniste souhaitent vivre, un monde où la priorité est donnée à l'environnement sur la paperasse. Pour ma part, je suis touché par le jumelage de la pierre et l'arbre. Aveugles l'un à l'autre, ils partagent néanmoins un espace, ils sont en relation. Puis une autre paire pierre-arbre apparaît pas loin de celle qu'on observait, semblable à la première mais différente à la fois, car toutes les pierres et tous les arbres sont différents même quand on reconnaît leurs similitudes. Ah, encore Différence et répétition de Gilles Deleuze qui m'habite! Il y a quelque chose d'émouvant dans toutes ses solitudes qui n'en sont pas, car, au fond, chaque pierre a son arbre, chaque arbre a sa pierre, et chaque paire fait partie d'un ensemble de plus de 7000 paires, car au-delà de Cassels et New York, il y en a aussi à Londres et à Baltimore. 

Enfin, ma troisième mission est d'essayer la grosse baignoire du studio du Québec à New York. Je me rappelle l'avoir vue en juin 2022 quand j'ai su que j'étais pris pour la résidence, et m'être imaginé dedans. En 5 mois, il n'y a pas une journée, pas une soirée, où ça m'a tenté de façon prioritaire au reste de ce qui me tentait. Maintenant, dernière chance et c'est fait. Je me suis rhabillé et je suis allé prendre une dernière marche autour de l'appart. Je vais m'ennuyer de New York. Ouf.

Dimanche 31 décembre

5:30 AM : dernières minutes dans l'appartement, je pars dans quelques instants
6:15 AM : dans un taxi vers LaGuardia, aucun trafic, ça prend 20 min au lieu d'une heure
6:45 AM : évidemment il y avait un problème avec le billet du violoncelle, mais l'employé Air Canada m'a réglé ça sans même qu'on ait à parler ensemble. J'ai une valise qui excède la limite de 50 lbs, mais, comme à l'aller, un glitch du système fait que je n'ai pas à payer d'excédent
7:15 AM : on me fait passer dans la ligne prioritaire pour le scan de bagages, il n'y a pas trop de traffic sinon. Le violoncelle va directement sur le convoyeur avec les autres bagages à main, tout le processus prend moins de 10 minutes

7:30 AM : Eh bien, je suis 3 heures d'avance sur mon vol, prêt à partir. Bagel œuf fromage + café filtre : 20$ (26$ en dollars canadiens). Le soleil se lève, j'ai un beau spot à une petite table à café. J'écris ce qui précède au sujet des 29 et 30 décembre.

9:30 AM : Attente à la porte 52. Embarquement prévu à 9:55, départ 10:20, arrivé à Montréal où je devrai attendre 5 heures. 5 heures et demi même!



13:00 : Je ne sais pas si c'est le réveil aux heures indues, le stress, le charroyage dans des corridors infinis ou une réaction du corps biologique en altitude, mais on se sent tellement sale après un voyage en avion. Ou pendant un voyage qui implique deux avions et 4 h d'attente devant soi. Il me semble que Montréal m'accueille dans toute la grisaille dont elle est capable; gris, brun, et tous les tons apparentés. Décidément, je suis au Québec,

Je suis dans un kiosque à manger générique. Je prends le panini végétarien de la honte (un ciabatta contenant juste un peu de fromage blanc râpé, quelques tomates cerises stériles, qui ont connu de meilleurs jours, de la vieille laitue romaine cheap en courtes languettes et la sauce à salade blanche qui n'a pas d'affaire dans un pain) + américano : 20$ (mais 20$ canadiens cette fois). J'écris ce qui précède au sujet des 24, 25, 26, 27 et 28 décembre.

15:00 : Incroyable que mon laptop ait encore de la charge. Je vais me trouver un autre spot plus près de la porte d'embarquement pour les deux dernières heures d'attente.

21:45 : J'ai eu un lift de l'aéroport de Québec à chez moi d'une amie qui avait eu la plus-que-brillante idée de m'inclure un sac de provisions à manger wow. J'ai fini de défaire mes bagages. Retour chez-soi, il y a un petit délai avant de vraiment se retrouver. On dirait que je ne suis jamais parti. Mais je ne me souviens plus où se trouve telle ou telle affaire. J'écoute des vinyles.

Quelques jours plus tard, le 3 janvier, je complète ce qui précède au sujet des 21, 22 et 23 décembre. Ça commence à faire longtemps.

Il y aura un épilogue. Un bilan du nombre de concerts vus, la liste des sessions que j'ai faites, en duo ou en trio. Mais aussi, le choc du retour; retour à Québec où il ne se passe donc rien pour moi en musique, où les soirs sont vides. Aussi, bilan de toute la paperasse accomplie, le travail de rédaction, les applications, dossiers, etc. il y en a eu beaucoup, beaucoup plus qu'à l'habitude. Et je veux parler de mon expérience à la façon dont Daphné B. parle de son expérience dans le podcast chienne en résidence.