dimanche 24 septembre 2023

studio du Québec à NYC : jours 50-51-52-53-54 sur 151

Il y a quelques mois, j'ai vu passer sur facebook une personne qui lançait une campagne de sociofinancement pour se payer une deuxième maîtrise, dans un autre pays. La personne disait vouloir pouvoir continuer à vivre de son art tout en entamant ce projet. J'ai trouvé ça tellement insensible comme demande, quand on sait à quel point le monde qui en arrache autour de nous. Non mais, ça prend du front tout le tour de la tête. En plus, la personne qui écrivait sur facebook a déjà eu plusieurs subventions pour ses projets. Je n'ai rien dit. Mais je trouvais la demande ridicule. Pourquoi donc? Il me semble qu'en temps normal mon réflexe serait de supporter une personne qui a un projet. Est-ce mon éducation catholique qui me souffle à l'oreille qu'il faut toujours nécessairement souffrir pour se mériter ce qu'on veut? C'est vrai qu'une partie de ma réaction négative à la campagne de financement, c'est que ça ne pouvait pas être facile comme ça, que la personne devrait faire des sacrifices pour se payer son projet (comme si je connaissais toute l'histoire). Est-ce mon éducation à Radio X qui me fait penser du mal de quiconque fait autre chose que fermer sa gueule et travailler temps plein? Parce que je me suis vraiment dit : « si tu veux une deuxième maîtrise en arts, je m'excuse mais tu vas nous laisser tranquille et aller travailler un an une job de marde comme tout le monde », avec mon accent Jeff Fillion. Est-ce la jalousie de voir cette personne quémander encore, oser demander publiquement, et possiblement obtenir du succès, après avoir déjà reçu encore et toujours des subventions? Car ça aussi c'est dans l'air du temps. Il faudrait que ceux qui reçoivent un subvention cessent toute critique au subventionneur, autrement dit on sent que les artistes soutenus au public ne devraient plus avoir un regard critique sur la politique. Je m'éloigne. J'ai donc une réaction paradoxale à cette campagne de sociofinancement : en théorie, je la supporte ou, mieux, elle m'indiffère, car tout le monde peut bien s'essayer dans vie et à la limite que je suis quasiment jaloux de qqun qui a le sans-gêne de s'exposer comme ça; en pratique, ça m'énerve tellement et je me dis : « y'a toujours bien des limites! », avec mon accent de Beauport.

Surtout, je ne veux pas qu'on pense ça de moi. Je ne veux pas qu'on me lise ici me plaindre que je ne trouve pas de bon pain pour déjeuner nulle part, alors que je suis dans un énorme appartement subventionné que personne dans mon cercle rapproché ne pourrait se payer. Je repense souvent à cette publication facebook, à ma réaction, et je me dis qu'il faut, en relisant ce que j'écris ici, que je me mette à la place de moi qui lisait la publication facebook d'une autre personne privilégiée. Car peu importe les épreuves du quotidien, je parle d'en-haut de l'échelle pour ainsi dire. Desfois, je passe des journées complètes sans parler à personne et je trouve que la solitude dans la grande ville, si prévisible, si ordinaire, mais si réelle, est bien secondaire à l'opportunité en or d'être ici. Il y a un dosage à faire. Je reviendrai sûrement sur cette réflexion, qui touche également à la lutte des classes, qui me saute aux yeux de plus en plus ici.

Résumé de la semaine :
Mon premier concert lundi (bof!), puis tout d'un coup un gros rush de travail mercredi-jeudi, puis face-à-face avec la virtuosité.

Début d'automne très franc. On est passé tout d'un coup, il y a quelques jours, des 30°C ensoleillés jour après jour aux 16°C venteux, gris, pluvieux, annonciateurs qu'on va geler dans pas long il me semble.

Mercredi 20 septembre

Eh bien tout d'un coup gros rush de travail pour mon concert novembre 2024. J'en reviens encore toujours pas, c'est vraiment étrange de passer autant de temps à planifier une improvisation dans plus d'un an! Toujours est-il que là on me demandait une description du duo (qui n'existe pas encore, mais faut ce qu'y faut, il y a quelque chose à dire certainement), bio de elle, bio de moi, puis une autre info, puis un autre plan de concert concurrent, essayer d'arrimer ça, passer proche de tout voir tomber à l'eau, retour au plan initial.

En tout cas, je suis retourné à mon nouveau petit café préféré le Joe Coffee, je me suis installé avec mon laptop et j'ai écrit jusqu'à la fermeture à 20 h.

En revenant, il était vraiment temps que je mange et j'ai vécu un beau moment new-yorkais. Je marchais à la recherche d'un plan de souper, un végé burger peut-être, tout sauf une pizza. Je sentais le petit tremblement de corps de quand on sort d'un tunnel d'hyperfocus, l'œil un peu sec et vagabond, les membres pas bien synchronisés (après ça je me demande pourquoi m'asseoir devant une demande de subvention n'est pas mon activité préférée...) et tout ce qu'il me restait dans le corps était un peu de café. Je marchais en me disant que dans cet état là, s'il m'arrivait quelque chose je n'aurais pas la force de sauver mon précieux ordinateur. Et je ne trouvais rien à manger. Les vrais restos c'est trop cher, je ne vais jamais là. Les fast-foods avaient l'air dégueulasses. Mais fallait bien manger quelque chose. En désespoir de cause — ok, c'est ici le dosage à faire, il faut que je me permette de décrire un petit désespoir momentané sans qu'on pense que je suis ingrat par rapport à ma situation à l'appart, à NYC, etc. — je décide d'aller au dépanneur me ramasser quelque chose en attendant de trouver une place à végé burger. Eh bien, miracle du deli! J'entre au dépanneur et non seulement il y a un comptoir à sandwiches et même quelques tables, mais ils font des végé burger. Hourra. J'ai donc lu mon Proust en soupant vers 21 h, l'heure déraisonnable des rushes de travail inattendus. 

Jeudi 21 septembre

Le matin j'ai complété ce qui m'avait été demandé la veille, j'ai livré la marchandise comme d'habitude. Puis j'ai passé une bonne partie de la journée à écouter le mastering du vinyle que je vais sortir bientôt. Encore beaucoup de temps à être très concentré à l'ordi, car écouter 45 minutes de musique ça prend beaucoup plus que 45 minutes. Surtout quand il y a deux versions à évaluer et commenter.

Puis en soirée un autre concert de la musique de John Zorn, cette fois dans un petit amphithéâtre de l'université Columbia, dont ça m'a donné l'occasion de voir le campus.

J'ai essayé de prendre en photo la lune sur le campus de Columbia University.
Mon téléphone cheap a fait ce qu'il pouvait!

21 septembre @ Miller Theatre at Columbia University, Morningside Heights Manhattan
Zorn@70 Music for Strings
Circe, a magical invocation for two trumpets (2019) [Peter Evans (trompette), Sam Jones (trompette)]
Sigil Magick: A Curious and Detailed Exposition of Sigils, Signs, and Hieroglyphs Peculiar to the Occult Orders, Hermetic Brotherhoods, and Dark Mystery Schools of the Late Middle Ages, for string quintet (2020) [JACK Quartet [Jay Campbell (violoncelle), Christopher Otto (violon), John Richards (alto), David Fulmer (violon)], Michael Nicolas (violoncelle)]
The Gas Heart, a mini opera for two celli and two percussionists (2020) [Jay Campbell (violoncelle, voix), Sae Hashimoto (percussions, voix) Michael Nicolas (violoncelle, voix), Ches Smith (percussions, voix)]
Prolegomena to Any Future Metaphysics That Will Be Able to Present Itself as a Science for string sextet (2020) [JACK Quartet [Jay Campbell (violoncelle), Christopher Otto (violon), John Richards (alto), David Fulmer (violon)], Yura Lee (alto), Michael Nicolas (violoncelle)]

Quand on a l'œil pour ça, c'est drôle de voir les institutions et leurs rigidités transparaître. Ici, un petit détail dans le titre, qui en cache certainement d'énormes dont on ne devinera jamais les sueurs qu'ils ont donné aux petites équipes administratives derrière. À l'occasion de ses 70 ans, John Zorn présente une multitude de concerts, incluant un festival complet à San Francisco, des concerts au Minnesota et des concerts ici dont celui-ci et celui que j'ai vu il y a quelques semaines à Roulette, Brooklyn. Tous les concerts s'appellent « Zorn@70 ». Le compositeur avait fait la même chose à 60 ans, avec une énorme série de concerts « Zorn@60 ». Eh bien, qui est-ce qui n'embarque pas dans le concept? L'université Columbia. Le titre du concert de ce soir : « John Zorn at 70 » au lieu de « Zorn@70 ». Et c'est certain que ce n'est pas un oubli ou une erreur, ils doivent avoir des lignes directrices pour les titres de concert quelque part, et pour une exception il faut sûrement faire une réunion au sommet, sortir le jeu de Ouija, invoquer les pères fondateurs, signer des dérogations. En tout cas, ils l'ont pas fait et ils sont les seuls de toute la série de concerts à détonner. Boouuuh! Ça n'a pas empêché la musique de se passer. Et ça se passait.

Je n'ai pas vu un concert de musique de chambre aussi virtuose depuis longtemps. Il y avait quatre pièces très contrastantes au programme. Leur seul point commun était de compter chacune une multitude de cues très précis, où deux musicien·nes ou plus doivent arriver tout à fait en même temps, une multitude de changements d'ambiance radicaux et instantanés, ainsi que des changements de modes de jeu.

Les interprètes en avaient vu d'autre. Mon attention était évidemment sur les deux violoncellistes, qui passaient si aisément de des passages de musique écrite ultra-rapide, ultra-difficile, ultra-agile à des sections complètement bruitistes où l'archet s'utilise d'une manière complètement différente. En une vie à voir des concerts de toutes sortes, j'ai vu des virtuoses de la note, j'ai vu des virtuoses du bruit, mais j'ai rarement vu des musicien·nes passer d'une esthétique à l'autre comme ça, de façon aussi brillante en plus.

Depuis mon arrivée à NYC, je découvre la crème de la crème de la musique expérimentale, des gens qui ont un langage tellement personnel qu'on ne peut les comparer à personne. Mais là, dans ce contexte plus traditionnel (par exemple, les violoncellistes jouaient du violoncelle de la façon à ce qu'on s'attend qu'ils jouent du violoncelle, malgré que le répertoire soit nouveau), je peux dire que j'ai vraiment eu sous les yeux parmi les musicien·ne les meilleurs du monde. C'est certain, on le sait qu'on trouve ça à New York, là j'en ai vu.  Des technicien·nes incroyables, ne ratant aucune note, aucun changement de tempo, d'une synchronicité parfaite dans le jeu d'ensemble, mais également des gens loin d'être des robots, ça joue intense, avec du gros coup d'archet quand ça en prend, la corne d'abondance des contrastes. Tiens!

Et John Zorn. Il est souvent présenté ou perçu comme un agitateur de l'avant-garde, un saxophoniste improvisateur iconoclaste, un drôle d'oiseau finalement, reconnu pour son travail, mais toujours un peu avec un petit sourire en coin. Ce soir là, j'ai vu le travail d'un compositeur plus posé, méticuleux même; j'ai entendu dans ses partitions entre autres la grande influence de la musique contemporaine européenne du début du XXe siècle. Je pense qu'éventuellement, si on peut consacrer une heure ou deux de moins à Beethoven dans les cursus d'histoire de la musique (on y passe déjà la moitié de l'année, ça devrait aller), ça pourrait être au profit de Zorn, quelqu'un qui a su faire son chemin en jazz, en free jazz, en free tout court, mais aussi en musique de tradition classique, une musique qui pourraient être comprise et appréciée par les éminences grises des universités, s'ils pouvaient s'enlever leur petit sourire narquois de la face.

Entre les pièces, à son habitude John Zorn venait sur scène présenter fièrement les musicien·nes, sans micro, pendant les applaudissements. On ne comprenait rien, c'est la tradition. Puis il présentait sa musique en termes simples, avec juste assez d'anecdotes pour reprendre notre souffle et diriger notre écoute, sans toutefois la guider complètement. Puis, il sautait en bas de la scène. Au lieu de descendre les trois marches de l'escalier. C'est sa personnalité, dans le Miller Theater comme dans le loft où il a commencé je suppose. Sans façon avec son t-shirt noir de je sais pas quoi et ses culottes d'armée camo noir et blanc (il portait les mêmes à Roulette). C'est peut-être pour ce manque de decorum qu'il n'est pas enseigné dans les milieux plus conservateurs. C'est peut-être cette intégrité qui lui donne la force de continuer. En tout cas, il n'a aucunement l'air de 70 ans, pas même de 40 ans je dirais.

Malgré tout ça, je n'ai jamais été un grand fan de John Zorn. Il faut dire que sa musique d'inspiration plus trad' m'énerve. Peut-être que je n'ai pas pris le temps de bien écouter la partie de son énorme discographie avec laquelle j'ai plus d'atomes crochus, comme les pièces de ce concert. 

Je lis la critique du concert dans le New York Times (et quelle critique! bien écrite et dans laquelle on apprend une foule de choses) et j'ai encore une fois ce sentiment d'être au « centre du monde ». Le New York Times est cette institution culturelle mondiale, et voilà que le concert dont ils parlent, eh bien c'est le concert que je viens de voir. Je ne sais pas si les habitant·es de New York se rendent comptent qu'ailleurs dans le monde, on ne parle pas dans le New York Times des concerts que nous sommes allés voir.

Vendredi 22 septembre

Un peu moins de péripéties en ce vendredi. Sortir lire dans un café me fait voir du monde un peu, changer de paysage, et ultimement me joue un bon tour pour me rapprocher de l'épicerie. Puis une pratique de violoncelle. Puis un concert.

22 septembre @ P.I.T. Property is Theft, Williamsburg Brooklyn
trio [Lori Goldston (violoncelle), Shoko Nagai (accordéon, électroniques), Tor Snyder (batterie)]
quartet [Lori Goldston (violoncelle), Shoko Nagai (accordéon, électroniques), Tor Snyder (batterie), ??? (guitare électrique)]

C'était cool de revoir la violoncelliste Lori Goldston et jaser avec elle un peu. Et l'entendre jouer encore une fois surtout.

Samedi 23 septembre

Aujourd'hui j'ai presque pris une pause, avant de m'enligner sur ma séquence d'exercices de physio (je l'ai déjà fait plus souvent), suivie d'une longue pratique de violoncelle, suivie d'une longue séance de lecture Proust dans le café ouvert par Hugh Jackman, suivie d'une session de nage de 1500 m à ma piscine habituelle, suivie d'un concert.

23 septembre @ The Stone at the New School, West Village Manhattan
Shimmer Wince [Lesley Mok (batterie), Adam O'Farrill (trompette), Mariel Roberts (violoncelle), Elias Stemeseder (synth), Anna Webber (sax ténor, flûte traversière, flûte basse)]

Encore la virtuosité au menu, décidément! Cette fois du côté un peu plus jazz, jazz contemporain, avec des métriques impossibles, des bouts plus free, encore un trompettiste tellement virtuose, une violoncelliste d'une justesse implacable, une leader au sax ténor qui n'avait rien besoin d'ajouter pour être si charismatique. Un peu moins pour moi musicalement, avec des thèmes et mélodies joyeuses qui me touchent moins, mais wow j'avais la mâchoire à terre tout le long du concert. Vraiment impressionnant. Le travail du synthétiseur aussi était remarquable, c'est drôle c'est lui qui amenait un côté imparfait à l'ensemble, avec des sons travaillés pour être un peu à côté, un peu faux alors que c'est lui qui a la machine la plus infaillible pour l'intonation.

Ceci dit, on n'entendais pas bien le violoncelle. Autant ce soir là à The Stone avec la violoncelliste Mariel Roberts (que je découvrais), que la veille à P.I.T. avec la grande Lori Goldston, que moi-même lundi il y a quelques jours! Qu'est-ce qui se passe avec le violoncelle à NYC. Comme disait la Oldsmobile Cutlass Supreme : « La pression d'huile est basse, il faut y voir sans délai. »

Dimanche 24 septembre

Ce soir je retourne voir Lori Goldston à P.I.T. je pense. Entre temps, vaisselle, lavage, prendre le temps d'écrire ceci. Il faudrait vraiment que j'aille démêler ce que j'ai à faire comme demande de subvention pour le projet de concerts en novembre 2024. Ça ne peut pas être si compliqué! Je pense qu'une date butoir approche. Je n'arrive pas à me mettre au travail là-dessus. À suivre.