dimanche 31 décembre 2023

studio du Québec à NYC : jours 143-144-145-146-147-148-149-150-151 sur 151

21 décembre @ Dream House, Tribeca Manhattan
Studies in The Bowed Disc, de La Monte Young [Jung Hee Choi (archet sur disque de métal), La Monte Young (archet sur disque de métal)]
sur le disque de métal Gong for La Monte Young (1963), de Robert Morris
mis en lumière via Imagic Light, de Marian Zazeela et Environmental Composition 2017 #1 v. 2, de Jung Hee Choi

J'attends dehors pendant une bonne demi-heure. Il fait froid, on n'est pas habillé comme il faut, on est des New-Yorkais. Connaissant l'espace, je me demande comment tous ces gens vont entrer dans la Dream House. On entre enfin. 3 étages d'escaliers étroits. Il faut enlever les souliers, pas de photos, pas vidéos et on demande de garder le silence. J'aime bien l'atmosphère créée par ce silence, ces rares voix chuchotées. Finalement tout le monde entre sans problème, nous sommes assis en tailleur sur le tapis blanc de la Dream House, devant le Gong for La Monte Young de Robert Morris baignant dans la lumière magenta, bleue, mauve caractéristique de l'espace et de l'artiste visuelle Marian Zazeela qui la signe. Un temps passe, les notes de programme sont imprimées sur un papier blanc lustré très épais, j'ai l'œil pour la qualité. Parmi les textes, une demande de ne pas applaudir à la fin. Ok. Est-ce que tout le monde est au courant?

Puis La Monte Young entre, sa chaise roulante poussée par un assistant qui l'amène devant la photo de Pandit Pran Nath que j'avais remarquée lors de ma première visite. Je ne suis pas trop au courant de la teneur de cet autre personnage. La Monte Young a l'air d'un vieux motard, jeans noirs, veste pas de manche, avait-il même un manteau de cuir? une casquette de cuir? des lunettes soleil? La barbe blanche pointue pas du tout du style père Noël. Tout un look. Est-ce que c'est pour ça qu'il est passé derrière d'autres amateurs de sons étranges, mais habillés de chemises blanches? Il est aussi accompagné de Jung Hee Choi, une artiste à part entière, bien qu'elle ne soit connue principalement que comme disciple de Young et Zazeela.

La Monte Young est prêt, archet de contrebasse à la main, derrière le disque de métal dont il jouera dans le bas à gauche selon mon point de vue. Jung Hee Choi est prête, archet de contrebasse à la main, devant le disque de métal dont elle jouera dans le haut à droite selon mon point de vue.

C'est parti et dès le premier geste on a toute la pièce. 45 minutes au total? Le disque est amplifié et crée tout un univers de sons grinçants, enveloppants, qui vibrent parfois fort dans le grave, parfois ténus dans l'aigu. Les deux interprètes se regardent l'un·e l'autre de temps en temps, mais jamais leur regards ne se croiseront avant la fin.

Le style de jeu me surprend, c'est ce que je retiens de ce concert. Chacun·e à leur façon, les deux parviennent à jouer sans intention. C'est les mots qui me viennent : jouer sans intention. Sans affect, sans émotion. On me prêterait un gong et un archet de contrebasse en concert et je sais tout suite que j'en jouerais avec passion, avec tout mon corps, avec poésie, avec aplomb, avec fougue, avec retenue, avec nuance, enfin j'en jouerais comme je joue du violoncelle je suppose. Ici, on a quelque chose d'opposé à ça, et tout aussi intéressant. Les deux artistes jouent de l'archet sur le disque. C'est tout. Il y a une tâche à accomplir, et la tâche est de passer l'archet à leurs spots respectifs de chaque côté. Pas de faire une musique avec des hauts et des bas, une narration, une progression. Pas non plus une esthétique de maîtrise sonore statique où c'est tout le temps exactement le même son. Non, le son change, il se passe quelque chose, mais... oui l'intention est importante, ce choix, ce mode de jeu « sans intention » est une intention, l'intention zéro, ce n'est pas un hasard.

Puis c'est fini avec aussi peu d'intention que ça a commencé. Le disque finit de résonner. L'assistant vient chercher La Monte Young. Pas d'applaudissements, personne ne parle, personne ne tousse, personne n'a toussé du concert! J'en reviens pas, quel public! Les gens quittent, nous sommes un peu sonnés.

Vendredi 22 décembre

J'ai rendez-vous avec des amis sur zoom ce matin, c'est bien de se donner des nouvelles. Puis je fais le montage de la vidéo prise avec Levi Lu! Je suis fier du résultat, j'ai travaillé les couleurs, c'est beau. Et la musique est vraiment bien. Levi aime aussi.

Le volume de concerts a passablement diminué sur mon site préféré nyc-noise à l'approche de Noël. J'avais prévu aller voir le concert en l'honneur des 90 ans du grand Phil Niblock ce soir, mais finalement je vais prendre un café, je niaise, c'est correct. 

Samedi 23 décembre

Début de journée qui grafigne alors que le détecteur de fumée se met à couiner à toutes les 40 secondes. Je regarde des vidéos youtube qui m'apprennent que la pile qui doit être faible. Je stresse parce que je ne suis pas bien éveillé et je me demande si les gicleurs ne vont pas partir si je fais un faux mouvement en essayant de décrocher le détecteur. Je ne trouve pas d'interrupteur assigné au détecteur sur le panneau électrique. Le responsable de la Délégation ne répond pas. Je me prépare à sortir chercher une batterie au dépanneur. Juste avant de partir, je sors l'escabeau et manipule le détecteur très délicatement. Il se détache du plafond. Il n'était pas connecté à l'électricité! Je sors la batterie et ça arrête de crier. Enfin je peux réfléchir. Ah tiens, une date d'expiration sur le détecteur de fumée... 2021. Il pouvait bien crier.

Je pense aux Palestinien·nes, qui vivent sous le son des bombes, des drônes, des ambulances, des cris. Moi j'ai eu un « bip » aux 40 secondes pendant une heure et je n'aurais pas pu endurer ça plus longtemps, encore moins travailler, m'organiser, faire à manger, trouver des solutions à d'autres problèmes plus graves. Les réalités ne se comparent pas. Mes pensées inutiles pour Gaza, dans le gros appartement de riche au dessus des sacoches Chanel.

Tant qu'à être prêt à sortir, je passe une partie de la matinée au café, je ne suis jamais sorti aussi tôt de l'appartement. Tout est bien tranquille à 9 h dans Soho.

Pratique de violoncelle, je reprends le travail sur la Particule 2. Puis je vais rejoindre mes amis T. et J., on va souper ensemble avant d'aller voir le nouveau film de Miyazaki au AMC sur la 34e rue. Oui la 34e rue comme dans le film Miracle sur la 34e rue! 

Dimanche 24 décembre

Petite journée. Les anti-fourrure manifestent très près de chez moi devant le magasin Marc Jacobs. Ce sont les mêmes que j'avais vus et entendus près du Louis Vuitton il y a quelques semaines et que j'entendrai de nouveau au Woolrich (traduction libre : laine de riche) dans quelques jours, où on se dépêchera de laver l'attaque à la peinture rouge. Je vais nager en après-midi. Je soupe en lisant dans un petit café italien croisé sur le chemin en revenant. Je m'installe ensuite au violoncelle à l'appartement pour une rare pratique vespérale.

Lundi 25 décembre

Je passe une partie de l'après-midi à lire au Caffe Reggio, c'est bondé de monde. Puis direction Brooklyn pour non pas un, mais deux concerts.

25 décembre @ Ornitology Cafe, Bushwick Brooklyn
Alon Benjamini Trio [Alon Benjamini (drums), Pablo Menares (contrebasse), Tom Oren (piano)]

25 décembre @ Ornitology Jazz, Bushwick Brooklyn
quartet [Jon Elbaz (piano), Henry Fraser (contrebasse), James Paul Nadien (drums) , Mike Troy (saxophone)]
trio [??? (drums), ??? (guitare électrique), ??? (sax)]
duo [??? (voix), ??? (piano)] 

James Paul Nadien est l'un des musiciens que j'aurai vu le plus souvent au cours de mes 5 mois à New York. Ce n'est pas un hasard, il est vraiment bon, énergique, rapide, excessif, inventif, polyvalent, j'aime le voir jouer, et il joue en concert très souvent, toujours dans des contextes différents. Il travaille aussi à Downtown Music Gallery, ce magasin de disques où le propriétaire Bruce présente des concert gratuits de musique improvisée tous les mardis depuis 30 ans.

Je suis bien content de voir que James Paul Nadien joue au fameux club de jazz Ornitology, moi qui me disais justement que je n'avais encore vu aucun jazz dans cette ville si importante pour l'histoire (passée et actuelle) de cet autre pan de la musique. Ça me donne l'occasion d'y aller.

En arrivant à Ornitology par contre, James Paul Nadien n'est pas là et je me dis qu'il doit y avoir eu un changement de dernière minute. J'écoute le concert présenté à la place, un super bon trio à peine amplifié, qui joue leurs versions de pièces de Joni Mitchell. C'est drôle, mais c'est rare que des hommes jouent la musique d'une femme. Pensée comme ça. Les choses évoluent trop lentement. 

En payant ma tisane à la fin de la soirée, je demande au barman s'il reste encore de la musique. Il me dit que non, mais que juste à côté il y a un open jam ou je ne sais trop. Où ça? Au Ornitology. C'est pas ici, Ornitology? Oui, mais... Voilà pour l'anecdote, en bon touriste je ne savais pas qu'il y avait deux endroits distincts, appelés Ornitology, à la même adresse. Mon relevé de carte de crédit m'apprend que l'un est le Ornitology Cafe et l'autre le Ornitology Jazz. Et le rapport entre ornitologie et jazz? Assurément la pièce Ornitology du grand jazzman Charlie Parker, surnommé Bird, l'oiseau. Bon, alors je traverse et je vois la fin du show que j'étais venu voir.

À l'ère de la story instagram, les informations passent et s'autodétruisent bien vite. Je suis chanceux de retrouver sur le site web de Ornitology les noms des musiciens qui jouent officiellement ce soir là avec James Paul Nadien. Puis c'est une scène ouverte. J'aime l'organisation spontanée de la chose, suivant une certaine tradition, les musiciens qui veulent jouer s'assemblent et choisissent une pièce du répertoire. Ce n'est pas trop compliqué puisque le répertoire des standards de jazz dans ce genre de contexte se limite à peut-être 100-150 pièces que chaque jazzman qui se respecte a joué des milliers de fois. Il n'y a pas de présentation, personne ne semble en charge, un groupe se forme, joue une pièce (ça dure une quinzaine de minutes), puis cède la place, j'aime ça. Par contre qui dit standard dit standardisé : le sax joue le thème, puis se prend un solo sur quelques enchaînements des accords du thème, puis il y a un solo de piano ou de guitare ou de l'autre sax, puis l'autre et l'autre, se terminant immanquablement par le solo de batterie en formule 4 mesures instrumentales, 4 mesures batterie seule, 4 mesures instrumentales, 4 mesures batterie seule, etc.

Incursion dans le monde du jazz, donc. Super beau petit bar, bonne écoute de tout le monde, mais la vibe est vraiment différente des concerts de musique improvisée. Premièrement, il n'y a pas de femmes parmi les musiciens. Ou si peu à part d'une chanteuse ce soir là. J'avais oublié cette particularité du monde du jazz et du rock. Pas de femmes, encore moins de personnes trans ou de la diversité de genre. Ensuite, il y a comme une attitude de démonstration technique dans la musique; il semble que chaque soliste doit se prouver, effectuer des prouesses techniques. Au détriment de la musique? Enfin, je trouve que le format du tour de solos limite tellement les possibilités. Ça met tout le monde qui joue, sauf le soliste, en posture d'accompagnement passif alors qu'il pourrait y avoir un bouillonnement d'idées, une bousculade fertile, même en suivant la grille d'accords. C'est ce que j'apprécie des albums plus tardifs de John Coltrane (qui a fini par virer complètement free jazz) et Wayne Shorter (qui est resté plus traditionnel; son album Without a Net, enregistré en concert en 2013, est le meilleur jazz que j'ai jamais entendu : aucun tour de solo, ils y vont au pif selon l'inspiration, ils se coupent, s'influencent, c'est poignant).

Mardi 26 décembre

Rien à signaler en cette journée de l'entre Noël et jour de l'an, où même à New York il y a beaucoup moins d'offre culturelle. J'en profite pour retourner nager une dernière fois à la piscine du Community Center at Stuyvesant High School.

Mercredi 27 décembre

Rien à signaler en cette autre journée de l'entre Noël et jour de l'an. Je fais une bonne pratique de violoncelle, de retour au travail sur la Particule 2, ça avance. Je travaille un peu pour une réunion des comités du GGRIL. En fin de soirée vers 21 h, j'ai envie d'un morceau de gâteau dans une ambiance de café pour aller lire quelques pages de Proust. Eh bien, je suis à New York! le Caffe Reggio a tout ça, jusqu'à 3 h du matin si je veux, à quelques minutes de marche. Je tombe par hasard sur mon ami A., on en profite pour se faire nos adieux. Je vais m'ennuyer de ça à Québec, où même au centre-ville tout est fermé depuis longtemps à 20 h. Et ce qui est ouvert le reste du temps est loin d'être inspirant.

Jeudi 28 décembre

Je suis dans mon sprint final. La journée commence par une session avec K. W. à la trompette (techniquement, l'instrument dont elle joue s'appelle un cornet). On se rejoint à la galerie d'art pour laquelle elle s'implique, un bel espace DIY à la fois dans le feu de l'action, dans le très hip et trash quartier Bushwick à Brooklyn, et comme cachée, façade colorée parmi d'autres façades colorées sous les rails du métro aérien ici. En tout cas l'acoustique est bonne pour le violoncelle dans cette pièce, on joue vraiment bien ensemble. Et c'est un peu un moment de boucle bouclée, car K. W. est la première personne avec qui j'ai joué à New York, le 27 août dernier.

28 décembre @ Williamsburg Brooklyn
Darlin' [Wendy Eisenberg (guitare électrique), Ryan Sawyer (drums), Lester St. Louis (violoncelle)]

Un autre aller-retour à Brooklyn après être rentré porter le violoncelle et manger à la maison. J'aime revoir le trio Darlin' en ce 28 décembre, après les avoir vu une première fois le 1er septembre à Public Records, une salle de spectacle plus officielle où on leur avait donné du « gros » son. Ce soir, la batterie n'est pas amplifié et les idées sont différentes. Je n'entends pas grand chose du violoncelle à vrai dire.

Ça fait réfléchir, tous ces concerts où le violoncelle n'est pas amplifié assez fort. Ça me rappelle l'importance d'être bien équipé et de faire bien attention à la personne au son, s'il y en a une.

Vendredi 29 décembre

J'étais supposé jouer avec S. S. A. J., la tromboniste, aujourd'hui, mais elle a annulé. À la place, j'ai donc une journée d'avance pour commencer mes bagages. Du stock pour 5 mois, il finit par y en avoir partout. Quoique.

Puis j'ai la visite de L. S. L., le violoncelliste. On se promet cet échange depuis des mois et les astres s'alignent enfin! On se fait un café (court, noir) et on jase de la vie un peu. Il essaye mon archet monté en crin noir (la grande majorité des violoncellistes jouent sur crin blanc). J'essaye son cordier sans ébène (la grande majorité des cordiers comportent une grande pièce de bois). Il essaye mon violoncelle avec la pédale Particule 2 (je manipule les pitons). J'essaye son archet de sarangi (ça va me prendre ça). Il essaye de manipuler la Particule 2 (je joue le violoncelle). On joue ensemble sans jouer ensemble, très particulier!

Je crois que c'est la première fois que je rencontre un collègue comme ça, avec qui je partage non seulement l'instrument, mais aussi la pratique en musique improvisée au même niveau. Je me rends compte plus tard que le 29 décembre est la journée internationale du violoncelle. Eh bien! On a bien fait ça. On se promet de se revoir bientôt, soit à Montréal, New York ou Berlin.

Puis je vais rejoindre J. et T. pour un dernier souper ensemble au Izakaya MEW. On va prendre une bière à DBL et je pense qu'en 5 mois à New York, c'est seulement la deuxième fois où je vais dans un bar sans concert. Décidément pas mon truc, ni la bière, ni le bar, mais le temps est bon avec ces deux nouveaux amis. On se promet de se revoir bientôt, soit à Québec, Montréal ou New York.

Samedi 30 décembre

Une journée à finir la bagages et à faire le ménage dans l'énorme appartement. Je tourne tellement en rond! Il me reste trois missions à accomplir avant de partir.


Premièrement, un selfie à la St Francis Xavier Church. C'est ici qu'a travaillé le violoncelliste, compositeur, chef et organiste Antoine Dessane de1865 à 1869. Je m'intéresse à ce personnage depuis que j'ai vu son violoncelle dans la collection du Musée de la civilisation à Québec. En bref — et là je déroule mes connaissances principalement de wikipédia — Antoine Dessane nait en 1826 en France où il se forme en violoncelle, piano et orgue au fameux Conservatoire de Paris. Parmi ses collègues de classe de l'époque, Cesar Franck et Jacques Offenbach auront des carrières pas mal plus remarquées. Antoine Dessane se marie à 21 ans, avec une de ses élèves, avec qui il aura 9 enfants. À 23 ans, les choses ne sont pas faciles suite à la révolution de 1848 en France et il accepte le poste d'organiste et maître de chapelle à la Basilique Notre-Dame dans le Vieux-Québec. Il semble alors être devenu un personnage très important de la scène musicale de la ville de Québec. Pendant 15 ans, il y forme des ensembles, dirige des concerts, joue du violoncelle, etc. en plus de ses fonctions d'organiste. Mais un moment donné ça ne va plus au travail et il accepte un poste à St Francis Xavier Church, New York City, où il déménage avec toute sa famille. 4 ans plus tard, il revient à Québec où il devient organiste de l'Église Saint-Roch. Il continue alors toutes ses affaires, ensembles et concerts en plus de fonder une chorale, écrire un manuel d'orchestration et jeter les bases d'un conservatoire local inspiré de Paris. Malheureusement, la santé ne suit pas et il meurt à peine 4 ans après être revenu à Québec, en 1873 à l'âge de 46 ans (47 ans selon wikipédia, je crois qu'il y a erreur).

Je me reconnais un peu en Antoine Dessane, avec toutes ses activités et compositions, mais surtout ses lieux de vie près de la basilique Notre-Dame où j'ai fait mon secondaire dans le Vieux-Québec et aux alentours de l'église Saint-Roch où j'ai bummé en masse. Il était toutefois un musicien de la tradition classique, à tel point qu'un de ses ensembles, le Septette Club, deviendra après quelques évolutions, bien des années plus tard, l'Orchestre Symphonique de Québec. D'un autre point de vue, Antoine Dessane tout comme moi s'intéresse et défend la musique de son époque. Je serais curieux de voir les œuvres au programme de ses concerts. Choisit-il de jouer la musique de compositeurs vivants? En tout cas, j'ai peut-être un petit projet secret Antoine Dessane, à suivre. 

Deuxièmement, salutations à l'un des plus grands artistes du XXe siècle, l'artiste visuel, artiste conceptuel et artiste en art performance allemand Joseph Beuys. Me voici en compagnie d'un fragment de son œuvre monumentale 7000 Eichen – Stadtverwaldung statt Stadtverwaltung. Encore un peu d'histoire. Invité en 1982 à participer à un festival d'art à Cassel en Allemagne, Beuys fait déposer un énorme tas de pierres de basalte, le tas prenant la forme d'une flèche pointant vers un chêne, devant le lieu d'exposition. Il déclare que pour bouger une pierre, il faudra planter un chêne. S'en suit un travail énorme où, en 5 ans, Beuys et une équipe de bénévoles plantent 7000 chênes, chacun accompagné de sa pierre de basalte. À New York, la fondation Dia s'occupe de 37 arbres (pas tous des chênes, mais rendu là on s'en balance), chacun avec sa pierre, dont 18 sont situés sur la 22e rue entre la 10e et 11e avenues, où je suis sur la photo.

D'après ce que je lis sur l'œuvre, 7000 chênes est politique et sociale. Le sous-titre Stadtverwaldung [« enforestration » municipale] statt [au lieu de] Stadtverwaltung [administration municipale] (ma traduction) met bien l'accent sur le type de monde dans lequel Joseph Beuys et ses collègues de l'Internationale situationniste souhaitent vivre, un monde où la priorité est donnée à l'environnement sur la paperasse. Pour ma part, je suis touché par le jumelage de la pierre et l'arbre. Aveugles l'un à l'autre, ils partagent néanmoins un espace, ils sont en relation. Puis une autre paire pierre-arbre apparaît pas loin de celle qu'on observait, semblable à la première mais différente à la fois, car toutes les pierres et tous les arbres sont différents même quand on reconnaît leurs similitudes. Ah, encore Différence et répétition de Gilles Deleuze qui m'habite! Il y a quelque chose d'émouvant dans toutes ses solitudes qui n'en sont pas, car, au fond, chaque pierre a son arbre, chaque arbre a sa pierre, et chaque paire fait partie d'un ensemble de plus de 7000 paires, car au-delà de Cassels et New York, il y en a aussi à Londres et à Baltimore. 

Enfin, ma troisième mission est d'essayer la grosse baignoire du studio du Québec à New York. Je me rappelle l'avoir vue en juin 2022 quand j'ai su que j'étais pris pour la résidence, et m'être imaginé dedans. En 5 mois, il n'y a pas une journée, pas une soirée, où ça m'a tenté de façon prioritaire au reste de ce qui me tentait. Maintenant, dernière chance et c'est fait. Je me suis rhabillé et je suis allé prendre une dernière marche autour de l'appart. Je vais m'ennuyer de New York. Ouf.

Dimanche 31 décembre

5:30 AM : dernières minutes dans l'appartement, je pars dans quelques instants
6:15 AM : dans un taxi vers LaGuardia, aucun trafic, ça prend 20 min au lieu d'une heure
6:45 AM : évidemment il y avait un problème avec le billet du violoncelle, mais l'employé Air Canada m'a réglé ça sans même qu'on ait à parler ensemble. J'ai une valise qui excède la limite de 50 lbs, mais, comme à l'aller, un glitch du système fait que je n'ai pas à payer d'excédent
7:15 AM : on me fait passer dans la ligne prioritaire pour le scan de bagages, il n'y a pas trop de traffic sinon. Le violoncelle va directement sur le convoyeur avec les autres bagages à main, tout le processus prend moins de 10 minutes

7:30 AM : Eh bien, je suis 3 heures d'avance sur mon vol, prêt à partir. Bagel œuf fromage + café filtre : 20$ (26$ en dollars canadiens). Le soleil se lève, j'ai un beau spot à une petite table à café. J'écris ce qui précède au sujet des 29 et 30 décembre.

9:30 AM : Attente à la porte 52. Embarquement prévu à 9:55, départ 10:20, arrivé à Montréal où je devrai attendre 5 heures. 5 heures et demi même!



13:00 : Je ne sais pas si c'est le réveil aux heures indues, le stress, le charroyage dans des corridors infinis ou une réaction du corps biologique en altitude, mais on se sent tellement sale après un voyage en avion. Ou pendant un voyage qui implique deux avions et 4 h d'attente devant soi. Il me semble que Montréal m'accueille dans toute la grisaille dont elle est capable; gris, brun, et tous les tons apparentés. Décidément, je suis au Québec,

Je suis dans un kiosque à manger générique. Je prends le panini végétarien de la honte (un ciabatta contenant juste un peu de fromage blanc râpé, quelques tomates cerises stériles, qui ont connu de meilleurs jours, de la vieille laitue romaine cheap en courtes languettes et la sauce à salade blanche qui n'a pas d'affaire dans un pain) + américano : 20$ (mais 20$ canadiens cette fois). J'écris ce qui précède au sujet des 24, 25, 26, 27 et 28 décembre.

15:00 : Incroyable que mon laptop ait encore de la charge. Je vais me trouver un autre spot plus près de la porte d'embarquement pour les deux dernières heures d'attente.

21:45 : J'ai eu un lift de l'aéroport de Québec à chez moi d'une amie qui avait eu la plus-que-brillante idée de m'inclure un sac de provisions à manger wow. J'ai fini de défaire mes bagages. Retour chez-soi, il y a un petit délai avant de vraiment se retrouver. On dirait que je ne suis jamais parti. Mais je ne me souviens plus où se trouve telle ou telle affaire. J'écoute des vinyles.

Quelques jours plus tard, le 3 janvier, je complète ce qui précède au sujet des 21, 22 et 23 décembre. Ça commence à faire longtemps.

Il y aura un épilogue. Un bilan du nombre de concerts vus, la liste des sessions que j'ai faites, en duo ou en trio. Mais aussi, le choc du retour; retour à Québec où il ne se passe donc rien pour moi en musique, où les soirs sont vides. Aussi, bilan de toute la paperasse accomplie, le travail de rédaction, les applications, dossiers, etc. il y en a eu beaucoup, beaucoup plus qu'à l'habitude. Et je veux parler de mon expérience à la façon dont Daphné B. parle de son expérience dans le podcast chienne en résidence.

jeudi 21 décembre 2023

studio du Québec à NYC : jours 133-134-135-136-137-138-139-140-141-142 sur 151

11 décembre @ The Parkside Lodge, Lower East Side Manhattan
Vorhees (guitare, électroniques)
Kevin Kenkel (électroniques, synthétiseurs)
Phong Tran (électroniques)

Finalement, le concert où j'avais prévu aller a bel et bien été annulé pour respecter l'appel à la grève mondiale en ce lundi 11 décembre. En parallèle, dans notre monde de paradoxes, d'autres concerts avaient lieu et, en cette dernière soirée avec de la visite de Québec, on a été dans la salle du fond d'un petit bar du Lower East Side assister à un évènement plutôt du côté de la musique électronique ambiante. Il y avait une boule disco sur laquelle était dirigé deux faisceaux bleus, ce qui nous donnait l'impression étourdissante de tenir en équilibre dans un aquarium géant. La musique était bien, mais nos vies n'auront pas été changées par ce concert. ll s'ajoute toutefois à tous les autres que je vois et qui donnent envie de présenter ce qu'on fait seul dans sa chambre, en version vulnérable devant le public. Je me suis rappelé toutes les soirées que je passais, adolescent, à jouer de l'orgue avec l'arpégiateur. J'étais bon! Je n'ai jamais présenté ça à personne.

Mardi 12 décembre

12 décembre @ Roulette, Boerum Hill Brooklyn
AM/FM [gabby fluke-mogul (violon amplifié), Ava Mendoza (guitare électrique)]

Je suis bien content d'être sur la liste d'invités à ce concert, une attention, un honneur, sentir qu'on compte nouvellement pour quelqu'un, même si l'invitation à être sur la liste avait été étendue à toustes les participant·es du Open Box du 3 décembre passé. J'arrive au concert presque en retard, j'entre et je reconnais déjà quelques visages sympathiques qui me sourient et m'invitent à prendre place avec elleux. La musique? J'avais vu AM/FM jouer dans la rue au mois d'août, lors d'un évènement informel destiné aux enfants du quartier, et je note le contraste de retrouver sensiblement la même musique, cette fois dans l'écrin de la prestigieuse Roulette où gabby fluke-mogul bénéficie d'une résidence cette année. Violon aux influences violoneux, guitare très assumée rock. Ne manquait plus que la basse et la batterie, dont l'absence enrichissait probablement plus l'expérience que si elles avaient été ajoutées.

Mercredi 13 décembre

Je retrouve la solitude bienheureuse de l'appartement après une belle semaine de visite quand même. Jour de congé, laver les draps et autres tâches connexes. En fin de soirée j'écoute un deuxième film dans ma série « j'écoute des films qui se passent à New York ». Cette fois, American Psycho. Un classique, un truc assez sanguinolent qui ne manque pas de bien se moquer des jeunes financiers de Wall Street tous pareils. Il y a une séquence marquante où les collègues de travail révèlent tour à tour leur nouveau design de carte d'affaire personnelle. Les cartes sont vraiment presque identiques, mais on nous montre la souffrance extrême du personnage principal, dont la carte d'affaire serait inférieure aux autres. Divulgâcheur : il tue le collègue avec la plus belle carte pas longtemps après. Je n'ai rien appris de bien édifiant ce soir là.

Jeudi 14 décembre

Journée complète de rédaction pour un appel de dossiers en Allemagne. Ça fait longtemps que je le vois venir celui là, mais j'avais d'autres choses prioritaires ahhhh. Je ne vais pas nager, même si c'était le plan. J'enchaîne avec le concert que j'avais prévu aller voir.

14 décembre @ The Stone at the New School, West Village Manhattan
QUARTET 2 [Lotte Anker (sax), Ikue Mori (électroniques), Ches Smith (batterie), Craig Taborn (piano)]

C'est au tour de la grande Ikue Mori d'avoir une semaine de résidence à The Stone. Musique incroyable, j'apprécie réentendre Lotte Anker dans ce contexte plus intime que la semaine dernière à Public Records. Quelle saxophoniste! Elle a tellement sa propre voix. On ne peut pas, en l'écoutant, se dire par exemple ah, tel saxophoniste aurait joué plus vite, tel saxophoniste aurait tenu plus longtemps. En assoyant son langage si personnel, il n'y a aucune comparaison possible. Je dis souvent pour moi-même que je ne peux pas faire partie d'une liste, à moins d'être premier. Je préfère ne pas être listable.

Je suis content d'entendre le pianiste Craig Taborn dans ce contexte plus expérimental que la semaine passée quand je l'ai vu dans le projet de Caroline Davis.

Il y a eu bien des changements dans l'organisation de cette semaine à The Stone, car ni leur site officiel, ni nyc-noise, ni le site officiel de Ikue Mori n'affichent les bonnes informations au sujet des musiciens. Si bien que je demande à Ikue Mori avec qui jouera samedi (un des sites mentionnait John Zorn, fake news!). Je suis content de ne pas avoir été impliqué là dedans. Sérieux, quel bonheur d'une vie artistique riche pour laquelle on n'a absolument rien d'autre à faire que se pointer et profiter. Ça fait changement de toute l'organisation dans laquelle je m'implique habituellement.

Ikue Mori me reconnaît, il faut dire qu'on s'est croisé plusieurs fois. Elle a même l'air contente de me voir, comme quoi. Je pense aller à l'évènement spécial qui souligne ses 70 ans dimanche prochain. Décidément, les 70 ans ont la cote.

Vendredi 15 décembre

Journée complète de rédaction pour l'appel de dossiers en Allemagne. Ça chauffe, les questions sont assez générales, les réponses ne doivent pas dépasser 2500 caractères. Il faut lutter contre la fuite de motivation devant la certitude de devoir remettre quelque chose de bâclé. De semi-bâclé. Je pousse la machine pour que ce soit le moins bâclé possible. Remettre un brouillon, mais remettre le meilleur brouillon possible, et au moins remettre quelque chose. Encore une bouteille à la mer.

15 décembre @ P.I.T. Property is Theft, Williamsburg Brooklyn
Kwami Winfield (électroniques, trompette)
Duo [Brandon Lopez (contrebasse), Fred Moten (poésie)]

Je vais quand même voir un concert ce soir. Je fais bien fait d'y aller. Kwami livre la marchandise encore, je suis impressionné par sa façon de structurer le temps et d'utiliser tous les dispositifs électroniques rudimentaires qu'elle manipule. Puis Fred Moten et Brandon Lopez jouent dans la même veine que ce que je les avais entendu faire le 1er octobre dernier. De temps en temps, Brandon Lopez y va d'une intervention vive qui a l'effet quasiment d'une claque dans face, et le poète Fred Moten s'en sert pour propulser ses mots. Dans ces moments quand même assez rares, j'aime voir Fred Moten un peu surpris, comme tout l'auditoire, sourire en coin parce qu'il aime ça. Il lit un texte avec plein de mots se terminant en -ide, et retient pendant de longues minutes le moment où il prononcera ce mot dans tous les esprits ces jours-ci : « génocide ». En plein dans le mille.

Samedi 16 décembre

Journée complète de rédaction pour l'appel de dossiers en Allemagne. La pression monte, la pression monte. Date de tombée demain. Ça avance. J'écris ceci moins d'une semaine plus tard et est-ce que j'ai été nager avant d'aller au concert de Ikue Mori comme je l'avais prévu? Aucun souvenir.

16 décembre @ The Stone at the New School, West Village Manhattan
TRIO [Makigami Koichi (voice, theremin), Ikue Mori (electronics), Ned Rothenberg (sax, clarinet, shakuhachi)]

Koichi à la voix et thérémine, vraiment assumé dans une certaine maladresse. Une maladresse virtuose, tiens ça pourrait être le sujet d'une recherche. Un angle. Cette virtuosité qui passe non par la rapidité d'exécution, mais par la proximité risquée au ridicule, dont on s'approche sans jamais lui toucher. Funambulisme précaire aussi satisfaisant pour le public que la tension de voir un interprète se torcher un passage particulièrement casse-gueule de Chopin ou Rachmaninoff. 

Dimanche 17 décembre

Dépôt de mon dossier pour l'Allemagne ce midi. J'obtiendrai une réponse l'été prochain! Suspense soutenu.

Puis, au lieu d'aller au party de fête et concert pour Ikue Mori, je me dirige vers la reprise du concert qui avait été annulé lundi passé pour la grève mondiale.

17 décembre @ Sisters, Clinton Hill Brooklyn
série Assembly #12, commissaires : Lester St. Louis, Luke Stewart
Basquiat Blues [Hans Binter-Young (clavier), Heru Shabaka-Ra (trompette, voix), ??? (flûte traversière, piccolo, percussions)]
Nate Wooley's Mutual Aid Music [gabby fluke-mogul (violon), Joshua Modney (violon), Lester St. Louis (violoncelle), ??? (contrebasse)]
Qiujiang Levi Lu (électroniques)

Surprise, je rencontre par hasard un Québecois. Première fois que ça m'arrive en presque 5 mois. On s'était présenté lors du Open Box du 3 décembre, sans se rendre compte de nos origines communes. C'est lui qui a allumé par après, en voyant mon nom complet sur instagram. #monnomest

On parle en français dans la petite salle de Sisters et j'ai l'impression de tricher, l'impression de briser mon immersion, comme si c'était un cours d'anglais à l'école. Il a une histoire intéressante, comme tout le monde ici en fait. Originaire des environs de Trois-Rivières, doctorat en philosophie, joue de la flûte traversière sans en faire sa vie.

Soirée de musique incroyable, en particulier Basquiat Blues où le trompettiste Heru Shabaka-Ra se met de temps en temps à parler, à nous invectiver, à dénoncer (je pense), en arabe (je pense), soutenu par le jeu incomparable du clavieriste Hans Binter-Young, qui a cette fois accès à un subwoofer puissant. La soirée se termine par un solo de Levi Lu et on en a eu pour notre argent ayoye. C'est la troisième fois que je vois Levi Lu à l'œuvre avec son joystick, son laptop dans lequel iel crie, ses senseurs, la percussion corporelle, etc. Ce soir, iel ajoute un dispositif qui lui permet de contrôler le son en penchant plus ou moins l'écran d'ordinateur, ou en jouant sur le bord avec un archet. Iel donne un tout nouveau sens à « jouer de l'ordinateur », iel joue de l'objet en soi. Philosophez! Combien d'autres personnes dans le monde jouent de l'ordinateur en frottant littéralement l'archet sur le rebord de l'écran? Je vais voir Levi Lu après le concert. Wow bravo. Iel me reconnaît des concerts précédents. Je lui propose spontanément de jouer avec moi à l'appartement s'iel a le temps. La réponse est oui! Aucune hésitation. Ok. Pousser. Manifester.

Lundi 18 décembre

Première journée après le rush de rédaction. Brûlé en sacrament. Et tout ça a quelque chose de ridicule il me semble. Je me vois me créer mon rush tout seul, un bon gros rush d'une semaine complète pour le projet de tournée en duo en novembre 2024, je me remets de ça, souffle 2-3 jours alors que je reçois de la visite, puis aussitôt c'est la date limite pour l'appel de projet en Allemagne. Si je l'obtiens celui-là, c'est pour 2025! À la pêche dans le futur incertain.

Aujourd'hui j'ai une session à l'appartement avec un super guitariste. Il vient plutôt du indie rock, du jazz, mais développe une pratique en musique improvisée. On s'est rencontré dans un concert à P.I.T. En jouant, on se trouve. On jase, très cool.

Le soir, je me force à aller au yoga. Je fais mes au revoir aux madames que j'ai côtoyées pendant tous ces lundis depuis août. C'est le début des adieux. J'offre une salutation que j'aurais voulue un peu plus emphatique à la prof, qui m'a vraiment apporté beaucoup ne serait-ce qu'en étant l'unique figure de stabilité de mon séjour. Tous les lundis. Dès août, elle a appris mon nom, me demandait comment ça allait, si j'avais des demandes spéciales pour la séance. On s'est croisé une fois dans la métro et on s'est salué alors que je ne connaissais personne. Je me rappelle de ce moment spécial. Pas de concert ce soir après le yoga, retour à pieds, pointe de pizza à 1$ en chemin.

Mardi 19 décembre

Les trois personnes que je connais de la Délégation du Québec à New York passent à l'appartement ce matin. Évaluer de contrat pour un service de ramassage de gros déchets, car on se débarrasse de plusieurs chaises, matelas, meubles après mon départ. Eh bien!

Je suis vraiment sonné des derniers jours de rédaction, congé aujourd'hui encore, je tourne en rond. Je vais lire un peu et prendre un café au Plantshed (magasin de plantes et café, j'en voudrais mille comme ça), nager au YMCA, puis je fais une dernière grosse épicerie au Whole Foods.

Mercredi 20 décembre

Rendez-vous téléphonique aux conséquences bien déplaisantes ce matin. Ma collègue du duo novembre 2024 vient de se booker un concert par dessus nos dates de tournée. Il faut donc que je déplace toutes les dates. Que j'écrive à Chicoutimi, Rimouski, Québec, Montréal, Toronto, que je fasse chier tout le monde avec ça, moi le premier.

Puis Levi Lu vient me rejoindre pour une session en duo. Yeah! Je filme, je mettrai ça en ligne bientôt. Très hot. On soupe ensemble des végé burgers du Whole Foods. Iel joue en concert ce soir, mais je préfère aller voir le violoncelliste Lester St.Louis. On parle de ça, comment chaque soir à New York on manque tellement de concerts. Il faut choisir, pas le choix.

20 décembre @ Bar Laika, Clinton Hill Brooklyn
dans le cadre de Satellite 27
Black Renaissance Fair [Bookworms (électroniques), Lester St. Louis (violoncelle, électroniques)]

Jeudi 21 décembre

Aujourd'hui je vais finalement au café Black Cat, que mon ami Amaar me recommande depuis des mois. C'est un oui! Plusieurs divans, plusieurs tables, des gens qui jasent, des gens sur leur ordi, un vieux piano dont personne ne joue — aussi bien comme ça, car je n'ai rarement passé un bon moment près d'un piano public en cours d'utilisation —, le café est pas très bon, la bouffe non plus et le service exécrable, ce que j'apprécie beaucoup. J'ai toujours été fan des baristas bêtes comme leurs pieds. Peut-être parce que ça déplait à tout le monde, ce qui chatouille agréablement que mon sentiment d'opposition. Peut-être parce que je crois si fort qu'il faut mettre le moins possible de son âme dans un travail que l'ont fait pour survivre et non par passion, surtout un truc sous-payé comme du service comme ça. Alors 10/10 pour le Black Cat. À quand un seul café à Québec où il y aurait un divan? Juste un! Ou un fleuriste qui serait un café en même temps.

Ce soir, je vais voir le grand La Monte Young, 88 ans, dans son espace à la Dream House. À suivre.

lundi 11 décembre 2023

studio du Québec à NYC : jours 129-130-131-132 sur 151

7 décembre @ The Stone at the New School, West Village Manhattan
trio [Caroline Davis (sax), Val Jeanty (percussions électroniques), Craig Taborn (piano)]

Quel concert étrange et bon après être allé nager. La saxophoniste Caroline Davis est en résidence cette semaine à The Stone et elle a invité ce soir un pianiste à la frontière du jazz et une percussionniste au jeu plutôt « musique du monde » avec des sonorités de tabla, de coquillages suspendus, mais aussi de cymbales et bass drum jazz, le tout joué avec ses mains sur des percussions électroniques : deux instruments circulaires aux surfaces en caoutchouc branchés à une console de son et un écran tactile. Eh bien! Une proposition inégale mais vraiment assumée encore une fois, toutes des compos de Caroline Davis.

Vendredi 8 décembre

Une journée à ne pas faire grand chose. Il me semble? Je suis encore comme dans un flottement après tout ce travail des dernières semaines sur la demande de subvention, sur les appels de projets. Je fais une pratique de violoncelle de plusieurs heures, je reprends mon travail d'utilisation de la pédale Particule 2. J'ai un ami en visite depuis quelques jours, un deuxième arrive ce soir et je vais le chercher à la gare de train à 23 h avant de sortir à Brooklyn.

8 décembre @ Public Records Sound Room, Gowanus Brooklyn
Veronica Vasicka (DJ)
Marie Davidson (DJ)

Première soirée de clubbing à New York. On arrive et la situation me rappelle Berlin : un quartier très tranquille, presque résidentiel, une petite rue faiblement éclairée devant un site en construction, un espace industriel, un no man's land générique de fer et de béton concentré entre quatre clôtures, puis des silouettes dans la nuit, une énorme file de plus d'une centaine de personnes devant lesquelles on passe, car nous sommes des invités de l'artiste principale. L'ambiance à l'intérieure rappelle aussi Berlin, quoique le club est bien petit en comparaison avec les bâtiment proprement industriels allemands. La musique est forte, mais on s'entend encore parler, par ce miracle technologique des systèmes de son dernier cri. Le basse est tellement forte qu'on se sent la tête vibrer, le crâne littéralement. C'est vraiment beau de voir mon amie encore une fois comme je l'ai vue faire plusieurs fois à Montréal et Berlin prendre possession du dancefloor avec ses choix de musique, ses mixes, ses interventions en direct sur le son, l'art d'être DJ finalement. La foule très nombreuse et très compacte danse à fond quand je pars vers 2 h du matin avant de devenir sourd. Un ami reste jusque vers 4 h.

Samedi 9 décembre

Le massacre se poursuit en Palestine sur le petit écran de mon téléphone encore tous les matins et le contraste entre mon quotidien d'appréciation de l'art et de privilèges et ce qui se passe là-bas est extrême. Que faire? Tout arrêter? Je sens que je n'en connais pas assez sur la situation pour me faire une idée complètement. Mais il me semble que quiconque tue du monde devrait arrêter ça, non? Peu importe les convictions des personnes impliquées, ce discours de « c'est lui qui a commencé » est tellement insupportable, les hommes au pouvoir sont des enfants mal élevés. Justement, est-ce qu'on est vraiment en train de demander d'arrêter d'affamer des enfants? Et puis entre toutes les images de gens qui tiennent des bouts de corps sortis des décombres, de gens déplacés de chez eux et entassés sous des bâches en plastique entourés de cadavres à enterrer, de deuils pas faits, au milieu de ces images cet homme en complet cravate avec sa main levée, le représentant des États-Unis aux Nations Unies qui utilise son véto contre tous les autres pour annuler la résolution de cessez-le-feu. Quoi?

Ces pensées me trottent dans la tête alors que je choisis un café où aller passer un peu de temps avec mon ami en visite, un café que je choisis à Brooklyn de façon à être près du parcours d'une des grandes manifestations de l'organisme Within Our Lifetime Palestine. Tout d'un coup que je voudrais aller voir ça. Mon ami poursuit ses plans de fin de semaine alors que j'attends que la manif passe. Puis je la vois au loin et je décide de me joindre pour quelques instants. Ajouter un corps à cette mer humaine que personne en situation de pouvoir n'écoute, c'est bien peu. La manif est belle et très tranquille; on entend des slogans pour la paix, pour la libération de la Palestine. Il y a toutes sortes de gens, toutes sortes d'accents et de couleurs de peau, il y a un groupe de juifs orthodoxes bien visibles avec leurs boudins et leurs grands chapeaux qui reçoivent les applaudissement de tout le monde grâce à leurs chants de paix.

Puis la manifestation s'engage sur le pont de Brooklyn et je me retrouve un peu sans m'en rendre compte pris entre la foule immense devant, bien engagée à parcourir les presque 2 km au-dessus des eaux du pont, et un barrage de police derrière, avec qui il est impossible de raisonner pour me laisser quitter. ACAB. Alors bien malgré moi, en harmonie avec mes convictions mais en opposition à mon instinct de survie, je me trouve obligé de traverser le pont. J'aurai fait ma part pour la cause, et je me trouve bien cheap que ce soit juste ça.

En sortant, je prends tout de suite le métro et comble de hasard je tombe sur l'autre des deux amis que j'héberge ces jours-ci (pas celui avec qui j'ai pris un café en début d'après-midi). Au coin d'une rue comme ça alors qu'il s'achète un manteau de friperie. La journée épuisante se poursuit avec le contraste habituel : après la manif, spaghetti à la maison, concert de l'ensemble Wet Ink, rencontre fortuite avec un ancien collègue de classe, rencontre fortuite avec la seule et unique administratrice et éditrice de nyc-noise, le site où je trouve tous les concert depuis le début de mon séjour, et une visite à la Dream House, l'installation iconique de La Monte Young, Marian Zazeela et Jung Hee Choi.

9 décembre @ Dixon Place, Lower East Side Manhattan
Wet Ink 25th Anniversary Festival
Shiverer, de Eric Wubbels [Erin Lesser (flûte traversière), Eric Wubbels (piano)]
Pendulum IV, de Alex Mincek [Erin Lesser (flûte contrebasse), Alex Mincek (sax ténor), Josh Modney (violon), Mariel Roberts (violoncelle)]
Liminal, de Josh Modney [Ian Antonio (percussions), Erin Lesser (flûte contrebasse), Alex Mincek (sax ténor), Josh Modney (violon), Sam Pluta (électroniques), Mariel Roberts (violoncelle), Kate Soper (voix), Eric Wubbels (piano)]
Epithets, de Kate Soper [Ian Antonio (percussions), Erin Lesser (flûte contrebasse), Alex Mincek (sax ténor), Josh Modney (violon), Mariel Roberts (violoncelle), Kate Soper (voix), Eric Wubbels (piano)]
ATD V, de Sam Pluta [Ian Antonio (percussions), Erin Lesser (flûte contrebasse), Alex Mincek (sax ténor), Josh Modney (violon), Sam Pluta (électroniques), Mariel Roberts (violoncelle), Kate Soper (controleur), Eric Wubbels (piano)]

Grosse journée, grosse soirée! Le Wet Ink Ensemble est parmi les meilleurs ensembles de musique contemporaine au monde en ce moment. Leurs interprétations sont d'une précision et un aplomb incroyables. Ils travaillent souvent avec des systèmes de tempérament moins communs, de l'intonation juste aux approches microtonales les plus difficiles, le tout appuyé par une percussion vraiment affirmative. Une de leurs particularités est que chacun·es des 8 membres de l'ensemble est également compositeur·ice à ses heures. Dans le cadre de ce concert particulier célébrant les 25 ans de l'ensemble, Wet Ink joue des composition de ses propres membres, dont Alex Mincek, dont je surveille le travail depuis plusieurs années.

9 décembre @ Dream House, Tribeca Manhattan
Dream House, de LaMonte Young, Marian Zazeela et Jung Hee Choi
œuvre visuelle : Abstract #1, tiré de Quadrilateral Phase Angle Traversals, de Marian Zazeela
œuvre visuelle : Ruine Window 1992tiré de Still Light and Dream House Variation I, de Marian Zazeela
œuvre visuelle : Environmental Composition 2017 #1, de Marian Zazeela et Jung Hee Choi
œuvre visuelle : Color (CNN), live realization, de Marian Zazeela et Jung Hee Choi
œuvre sonore : The Base 9:7:4 Symmetry in Prime Time When Centered above and below The Lowest Term Primes in The Range 288 to 224 with The Addition of 279 and 261 in Which The Half of The Symmetric Division Mapped above and Including 288 Consists of The Powers of 2 Multiplied by The Primes within The Ranges of 144 to 128, 72 to 64 and 36 to 32 Which Are Symmetrical to Those Primes in Lowest Terms in The Half of The Symmetric Division Mapped below and Including 224 within The Ranges 126 to 112, 63 to 56 and 31.5 to 28 with The Addition of 119, de La Monte Young
œuvre sonore : TONECYCLE BASE 30 HZ, 2:3:7, The Linear Superposition Of 108 Sine Wave Frequencies Set In Ratios Based On The Harmonics 2, 3 And 7 Imperceptibly Ascending Toward Fixed Frequencies And Then Descending Toward The Starting Frequencies, Infinitely Revolving As In Circles, In Parallel And Various Rates Of Similar Motion To Create Continuous Slow Phase Shift With Long Beat Cycles, de Jung Hee Choi

Puis on se dépêche d'aller à la Dream House. Il s'agit d'un lieu, d'une expérience, qui sera fermé demain, mais qui nous surprend en affichant des heures d'ouvertures du mercredi au samedi de 14 h à minuit. Minuit! Sur google, quelqu'un dit (traduction google) : « J'ai attendu environ 30 minutes à l'ombre d'un land rover jusqu'à ce que le gars de la porte revienne pour nous laisser entrer. Probablement les 10 $ que j'aie jamais dépensés pour être honnête. Je vais probablement revenir ici au moins une fois tous les 20 ans. » Et voici un autre commentaire, que je me rappelle d'avoir lu des mois avant d'arriver à New York, pour mettre la table (traduction google) : « Vraiment une expérience unique à New York. Je suis venu ici avec un ami ne sachant pas grand chose de ce qu'est cet endroit, je l'ai trouvé (avec un peu de travail de détective) et je suis monté à l'étage. Là, nous avons été accueillis par un sympathique bénévole qui a répondu à quelques questions et nous sommes entrés dans la maison de rêve. Au début, vous êtes bombardé par une explosion de bruit qui fait trembler les murs. Mais ensuite, cela commence à vous apaiser, à vous envelopper et finalement à vous consumer. Quelle expérience, je reviendrai. »

On arrive donc devant une porte où un papier collé derrière la vitre nous indique qu'il faut sonner au #3 (et non au #2) pour la Dream House. On attend quelques minutes et le fameux buzzer nous invite à passer le seuil. Une volontaire qui semble complètement dans un autre monde nous dicte doucement et doctement les règles : 10$ cash, pas de photos ou autre forme de documentation à l'intérieur, laissez vos souliers ici. Nous goûtons, par cette petite bouchée de rien, à ce qu'a pu être la culture des lofts new-yorkais des années 70, de celui de Yoko Ono pas loin d'ici, à ceux d'Andy Warhol pour nommer les plus connus. Combien d'expériences artistiques sont parties dans l'oubli?

À l'intérieur, une œuvre du compositeur iconoclaste minimaliste La Monte Young. Les pièces que je connais de lui sont en effet minimales en ce sens que leur richesse est dans l'expérience de la conscience à l'écoute d'une grande parcimonie d'éléments musicaux. Ici, on s'approche d'une parcimonie extrême avec la pièce au long titre écrit plus haut « The Base 9:7:4 Symmetry in Prime Time [...] » (le minimalisme n'est pas dans le titre!), dans laquelle rien ne se passe : on entre dans un genre de salon recouvert de tapis blanc où 4 haut-parleurs diffusent un accord qui ne change jamais. Mais l'expérience de perception n'est pas minimale, car cet accord très riche contient des dissonances qui font vibrer tout l'espace. De plus, en se concentrant un peu on distingue très clairement les différents éléments de l'accord si on se déplace, même très peu, dans l'espace.

Un moment, je suis assis par terre et je n'ai qu'à m'étirer un tout petit peu le cou pour percevoir comme des nuages des hautes fréquences se détacher. Je trouve un endroit dans la pièce où les battements de basse sont très présents, puis en me plaçant quelques centimètres plus loin je ne les sens plus du tout, ou j'en sens deux fois plus. Une composition fascinante!

Au niveau visuel, la lumière mauve domine. Il y a aussi un papier noir couvert de petits trous qui forment un dessin géométrique et organique à la fois, comme une énorme libellule abstraite. Ce sont les œuvres visuelles de Marian Zazeela, une artiste qui est aussi mariée avec La Monte Young.

Les œuvres de La Monte Young et Marian Zazeela sont en dialogue avec un environnement sonore et visuel signé Jung Hee Choi, qui, si j'ai bien compris, serait un peu une disciple du couple. Elle propose un accord beaucoup plus consonant, qui vibre donc de façon beaucoup plus reposante, mais dont la note monte et descend de façon imperceptible sur plusieurs minutes. Et c'est grâce à la proximité avec l'œuvre de Young qu'on peut saisir ce long mouvement. C'est fort. Très fort.

Ce n'est pas une expérience transcendantale pour moi. Je trouve que le langage comme « transcendantal », « méditatif » renvoie à trop de pratiques du côté du kétaine. Évidemment qu'on est frappé par le contraste entre la rue new-yorkaise, ses sirènes, klaxons, flashes lumineux, et le vrombissement de plus en plus enveloppant et calme des drônes. Évidemment que l'atmosphère est propice à s'éloigner des pensées du quotidien. Mais j'ai vécu au contact de la Dream House quelque chose de plus concret, de presque scientifique à faire l'expérience, avec mon corps, des théories perceptives et même mathématiques des artistes en jeu. J'ai aussi l'impression, peut-être la certitude, d'avoir saisi un moment historique. La Dream House, une œuvre qui roule en ce lieu depuis 1993, devrait passer à l'histoire comme un élément marquant de toustes celleux qui l'ont fréquentée, incluant nombre d'artistes à qui elle aura montré une autre variation du « tout est possible », une variation toute en nuance et en changement malgré les apparences et les critiques négatives sur google.

ll y a deux concerts par année à la Dream House, un à l'équinoxe du printemps et un à l'équinoxe d'automne, qui correspondent environ aux anniversaires de naissance respectifs de Zazeela et Young. Cette année, le solstice d'hiver s'ajoute et je ne sais pas ce qui me retiens de dépenser 53$ américains pour aller voir La Monte Young lui-même, agé de 88 ans, se faire hisser en chaise roulante jusqu'au loft du 3e étage pour interpréter, avec Jung Hee Choi, sa pièce Studies in The Bowed Disc, qui n'a pas été jouée depuis 1966, soit trois ans après que le sculpteur Robert Morris lui eut fabriqué un gong en métal de 4 pieds de diamètres. Tiens donc, 1963 le gong de La Monte Young, et qu'est-ce qui se passe en Allemagne en 1964? Le grand compositeur Karlheinz Stockhausen se fait construire un tam tam (genre de gong) de 6 pieds de diamètre et écrit sa fameuse pièce Mikrophonie I, où deux interprètes s'attaquent à l'instrument de toutes sortes de façons. La Monte Young a plus d'influence que les historien·nes de la musique le disent. Le concert du 21 décembre sera présenté dans l'environnement visuel Imagic Light, de Marian Zazeela et Environmental Composition 2017 #1, v. 2, de Jung Hee Choi.

Mise à jour : Après avoir écrit tout ceci, je n'ai pas le choix d'acheter le billet. Pendant que les autres gays iront à Beyoncé pour 600$, je serai à La Monte Young pour un quand même exorbitant 80$ canadiens.

Dimanche 10 décembre

Je prends un peu de temps solo avec Proust pendant que les deux invités parcourent les friperies. Puis je prononce la phrase suivante, que nous trouvons bien drôle : « je vais chercher des dumplings au Target ». Chose faite, chose mangée, et quel adon que de revenir à Public Records où on avait été clubber avant-hier, pour cette fois assister à un concert de musique improvisée.

10 décembre @ Public Records Sound Room, Gowanus Brooklyn
Catalytic Sound Festival NYC
quartet [Sylvie Courvoisier (piano rhodes), Brandon Lopez (contrebasse), Ikue Mori (électroniques), Zeena Parkins (harpe, électroniques)]
quartet [Lotte Anker (sax soprano, sax alto), Cecilia Lopez (synthétiseur analogue), Tom Rainey (batterie), Nate Wooley (trompette)]
trio [Charmaine Lee (voix, électroniques), Fred Lonberg-Holm (violoncelle), Ned Rothenberg (clarinette, sax)]
sextet [Lotte Anker (sax soprano, sax alto), Charmaine Lee (voix, électroniques), Fred Lonberg-Holm (violoncelle), Ikue Mori (électroniques), Zeena Parkins (harpe, électroniques), Nate Wooley (trompette)]
quartet [Sylvie Courvoisier (piano rhodes), Brandon Lopez (contrebasse), Tom Rainey (batterie), Ned Rothenberg (clarinette, sax)]
octet [Lotte Anker (sax soprano, sax alto), Sylvie Courvoisier (piano rhodes), Fred Lonberg-Holm (violoncelle), Cecilia Lopez (synthétiseur analogue), Zeena Parkins (harpe, électroniques), Tom Rainey (batterie), Ned Rothenberg (clarinette, sax), Nate Wooley (trompette)]

La crème de la crème de la scène. On dirait un cours 101 des meilleures pratiques en improvisation. On écoute, on apprend, on est ému, on sourit car la musique rebondit, coule, dessine, hachure, berce, confronte, ose un silence, se permet la cacophonie, le bruit, la mélodie, la consonance, les couches sonores distinctes en effet d'épaisseur et d'espace. Une partie de moi est comme fier de présenter à mes amis ces musicien·nes que j'ai appris à reconnaître et même à connaître un peu au cours des dernier mois. Ça nous motive, on passe le chemin du retour à faire mille plans pour la musique improvisée à Québec.

Lundi 11 décembre

Ce matin très tôt, une réunion zoom avec deux organismes de Montréal au sujet d'un concert en... 2026! Ça y est on est rendu là. Puis aujourd'hui, il y a un appel à la grève mondiale en faveur d'un cessez-le-feu en Palestine. L'idée est d'attirer l'attention du politique en arrêtant l'activité sociale et économique, ce qui affecte en premier les personnes en haut de la pyramide économique, celles qui profitent le plus de la guerre comme les banques qui font d'énormes prêts à intérêts, et toutes les personnes qui s'enrichissent à la bourse chez les producteurs et vendeurs d'armes. Évidemment, la grève mondiale est une utopie. Mais historiquement, c'est le genre de mobilisation qui a eu de l'impact. Et puis qu'est-ce qu'on peut bien faire d'autre? Alors voyons voir, je ne serais pas surpris que tous les concerts du jour soient annulés en solidarité. Même si, d'une certaine façon on se tire dans le pied à nous même en faisant subir aux artistes et aux petits lieux de diffusion les conséquences d'un mouvement qui s'adresse aux puissances économiques. On n'en est pas à un paradoxe près en ce bas monde. Lundi, session de yoga aussi. Écrire ceci toute la journée. À suivre.

jeudi 7 décembre 2023

studio du Québec à NYC : jours 121-122-123-124-125-126-127-128 sur 151

Jeudi 30 novembre

Journée entière consacrée à la préparation de la demande de subvention.

30 novembre @ TheaterLab, Midtown West Manhattan
Like a Drawing [Takahito Inoue (vidéo), Naoki Iwakawa (peinture, performance), Ikue Mori (électroniques), David Wallace (cornemuse)]

Première fois de ma vie que j'entendais de la cornemuse expérimentale. Il y a une première fois à toute!

Vendredi 1er décembre

Journée entière consacrée à la préparation de la demande de subvention.
Nage en soirée.

Samedi 2 décembre

Pratique de violoncelle en réchauffement de demain.
Puis le reste de la journée consacré à la demande de subvention.

Dimanche 3 décembre

Je participe à Open Box avant mon concert avec le Creative Music Studio Improvisers Ensemble.

3 décembre @ Houghton Hall Arts Community's Josef Jefferson Room, NoMad Manhattan
Open Box quartet [Rémy Bélanger de Beauport (violoncelle), Che Buford (violon), Rocío Díaz de Cossío (violoncelle), Sabrina Salamone (violon)]
Open Box quartet [Rémy Bélanger de Beauport (violoncelle), Orchid McRae (percussions), Thad Palmer (trompette), ?? (percussions)]
Creative Music Studio Improvisers Ensemble [Rémy Bélanger de Beauport (violoncelle), Gene Coleman (flûte), Rocío Díaz de Cossío (violoncelle), gabby fluke-mogul (violon), Henry Fraser (contrebasse), Madison Greenstone (clarinette), Selendis Sebastian Alexander Johnson (direction), Joanna Mattrey (alto), Vivek Menon (violon), Caroline Morton (contrebasse), Jen Sapiro (voix), Sara Schoenbeck (basson), Cleek Schrey (hardanger d’amore)]

Première fois que j'entends parler du hardanger d'amore, un instrument qui ressemble à un violon à 5 cordes et à une viole d'amour (l'instrument au nom français le plus horrible de toute l'histoire de la musique) avec ses cordes sympathiques. Je joue bien!

Lundi 4 décembre

Journée entière consacrée à la demande de subvention.

Comme la demande concerne un projet de tournée en duo, avec une musicienne avec qui je n'ai jamais joué en duo, j'avais depuis longtemps le projet d'enregistrer une simulation de notre musique à montrer au jury. Les yeux cross-side des onglets de budget et des multiples paragraphes de texte à démêler et présenter parfaitement, clairement, de façon convaincante, sérieuse, enthousiaste, syntaxiquement exemplaire, le cerveau cross-side de baigner là dedans depuis le matin, j'ai le coat sur le dos pour aller prendre un peu d'air, boire un café, me changer les idées, quand je me demande quand est-ce que je vais enregistrer la fameuse simulation. What better place than here? What better time than now? J'enlève mon manteau, je sors mon ordi de mon sac, je pose mon cell sur la petite table prêt à filmer, je download le premier vidéo solo que je trouve de ma partenaire de duo, j'importe dans mon logiciel de montage vidéo, ajoute 2 minutes au début le temps de m'installer, sors le violoncelle qui était encore dans son étui depuis le concert d'hier, place une chaise, allume la lumière, et go, je me filme avec mon cell, je me filme avec mon laptop, j'entends à peine l'autre moitié du duo. Pas réchauffé, mais l'énergie est la bonne, l'urgence de créer. Et je suis très content du résultat, ce n'est pas gênant. Une prise.  J'effectue le montage sur place couché par terre à côté du laptop pendant une heure, je mets ça en privé sur youtube, puis je vais enfin me changer les idées au café. Et un biscuit tiens. Trop tard pour changer d'idée quand je me rends compte que je suis en train de payer 6$ pour un biscuit aux pépites. 8$ canadiens pour un seul biscuit!

4 décembre @ Record Shop, Red Hook Brooklyn
Kwami Winfield (trompette amplifiée)
Michael Foster with Strings [Michael Foster (sax), Webb Crawford (guitare, vielle à roue type symphonium), Nava Dunkelman (percussions), Doyeon Kim (gayageum), Zosha Warpeha (hardanger d’amore)]

Je suis vraiment touché par le set de Kwami en solo, un des meilleurs concerts que j'ai vus. Quelques jours plus tard, un vidéo non répertorié fait surface. Je le prends en note ici.
https://youtube.com/watch?v=4TaSJJ2ZcoY&si=Ts0tju6AOzt7Ax9E

Je manque le troisième set, content d'accueillir de la visite de Québec qui arrive avec le train de 23 h.

Mardi 5 décembre

Journée entière consacrée à la demande de subvention.

5 décembre @ Downtown Music Gallery, Chinatown Manhattan
sextet [Iván Barenboim (clarinette contralto), Patrick Brennan (direction, sax), Claire de Brunner (basson amplifié), Nick Gianni (clarinette basse), Josh Sinton (sax baryton), Yuma Uesaka (clarinette contrebasse)]
trio [Dafna Naphtali (électroniques, voix), Ras Moshe Burnett (sax ténor, flûte traversière), Katie Porter (clarinette basse)]

Première fois que je vois deux clarinettes contrebasses en même temps. Au retour, je relis encore mon texte de demande jusque passé minuit. C'est pas mal prêt.

Mercredi 6 décembre

Dernières relectures de ma demande de subvention dès le matin. Je clique sur « envoyer »  à 14 h 37. Réponse en fin avril 2024.

La compilation de fin d'année de l'étiquette Cuchabata Records vient de sortir. Ma pièce en duo avec Kwami Winfield est à la toute fin. Je suis tellement fier de faire partie de cette communauté montréalaise, avec son éthique « fait maison » si importante. Je suis tellement fier de présenter cette improvisation avec une amie connue à New York, un truc enregistré sur mon cellulaire où on entend le métro passer de temps en temps, prendre toute la place et se tasser. Une belle pièce de près de 45 minutes, parmi 5 h de musique qui va un peu dans tous les sens. Je ne sais pas qui va écouter ça sauf moi. Mais chaque personne qui prendra le temps de le faire vivra un moment précieux.
https://cuchabatarecords.bandcamp.com/album/cuch-221-cuch-2023-2023

6 décembre @ Nublu, Alphabet City Manhattan
Palenque Monastery [Che Buford (violon), Alfredo Colón (sax), Rocío Díaz de Cossio (violoncelle), Marc Edwards (batterie), Francisco de la Garza (sax), Selendis Sebastian Alexander Johnson (direction), Samantha Kochis (flûte traversière), John Masso (sax), AJ Medeiros (trombone), TJ Milan-Bombara (sax), Caroline Morton (contrebasse), Thad Palmer (trompette), Henry Plotnick (piano), Caleb Smith (trombone), Jose Fernando Solares (sax), Kwami Winfield (trompette), James Worsey (trombone)]
trio [Marc Edwards (batterie), Michael Gilbert (basse électrique), Gian Perez (guitare)]
duo [Alfredo Colón (sax, ewi, effets), Theo Walentiny (clavier, effets)]

Sous la direction de Selendis, le grand ensemble a joué entre autres trois mouvements du Black Liberation Movement Suite de Cal Massey, une magnifique pièce qui n'aurait été jouée que quelques fois dans les années 70 aux rassemblements du parti Black Panther.

Jeudi 7 décembre

Aujourd'hui très relax. Quelques flocons sur New York, les premiers que je vois. Essayer de retracer les quelques dépenses de la dernière semaine. J'ai complètement perdu le fil, ça prend pas grand chose. Aller nager ce soir?


Grisaille puissance 10

mercredi 29 novembre 2023

studio du Québec à NYC : jours 111-112-113-114-115-116-117-118 -119-120 sur 151

Lundi 20 novembre

Aujourd'hui, visite dans un somptueux corridor-salon de la International House. Une pianiste rencontré lors du concert organisé chez-moi m'y invite à jouer ensemble. Piano à queue, boiseries, plancher de marbre, des gens passent sans se soucier de nous. Je dois interrompre notre rencontre pour un zoom prévu avec Québec, au sujet d'un concert en mai 2024, dont l'organisation reviendra dans les prochains jours. Le pianiste est originaire de Taïwan et a été sélectionné exactement comme moi pour passer 6 mois à New York City, retour à la maison le 31 décembre. Il me donne un CD d'un de ses projets, toute la pochette est en caractères chinois. J'enregistre notre session sur mon téléphone cheap, j'ai hâte de prendre le temps de réécouter tout ça.

Demain, départ pour Montréal. Je prends la soirée pour faire mes bagages malgré les concerts intéressants au menu.

Mardi 21 novembre

Je fais du ménage et mes bagages tout l'avant-midi. Puis l'heure de mon aller-retour jetset à Montréal a sonné et tout se passe tellement bien. Départ de l'appartement à 12 h, arrivée à l'aéroport à 13 h 15. Je suis content d'avoir prévu un peu de lousse, car une ambulance doit passer au travers plein de voitures en arrivant et ça bloque pendant de longues minutes. Je me promets d'arriver avec une avance plus large la prochaine fois, soit le 31 décembre. Ah! Vision du futur. Neige, violoncelle sur le dos et ma valise de 600 lbs en prime, n'y pensons pas tout de suite. Pour l'instant, avec mon petit bagage je passe toute la sécurité en moins de 10 minutes, aucune file. Départ de mon vol à l'heure, j'arrive et je vais directement à la Casa del Popolo, où se cuisine la meilleure nourriture en ville avant de voir des ami·es en concert!

21 novembre @ Casa del Popolo, Montréal
trio [Justine Durand (vidéo), Eva Dannika Gekas (trompette), Alex Pelchat (guitare électrique)]
duo [Robbie Kuster (batterie), René Lussier (guitare électrique, voix)]
Postpony [Hugo Blouin (contrebasse), Karen Ng (sax), Eric Normand (basse électrique), Robin Servant (accordéon)]

Des gens que j'aime beaucoup sur cette scène et dans cette salle. Je suis content de les voir, les entendre, les feeler!

Mercredi 22 novembre

Pas mal toute la journée dans un café à rédiger pour ce concert à donner en mai 2024, qui doit d'abord être accepté par un comité de sélection à Québec. Date limite pour le dépôt le 26 novembre, mais ça doit passer entre les mains, sous les yeux, de quelqu'un qui travaille du lundi au vendredi alors... En tout cas c'est maintenant que ça se passe. Puis un concert en soirée.

22 novembre @ Centre canadien d'architecture, Montréal
With Without, de Pierre-Yves Martel par Carl Hübsch (tuba, objets), Pierre-Yves Martel (échantillonneur, synthétiseur modulaire), Philip Zoubek (piano, synthétiseur)
Blend V, de Philip Zoubek par Carl Hübsch (tuba, objets), Pierre-Yves Martel (échantillonneur, synthétiseur modulaire), Philip Zoubek (piano, synthétiseur)
Depth Sounder, de Carl Hübsch par Carl Hübsch (tuba, objets, électroniques), Pierre-Yves Martel (échantillonneur, synthétiseur modulaire), Philip Zoubek (piano, synthétiseur)

Je me permets un rare concert à être un peu moins attentif qu'à mon habitude. En temps normal, la musique commence et je m'y dédie entièrement. Cette fois, je laisse mon attention partir et revenir, la musique s'y prête si bien. Quels musiciens exceptionnels! Et quelle belle salle, un petit trésor caché à Montréal. 

Jeudi 23 novembre

Je termine le dépôt du dossier pour le concert de mai 2024. Une bonne chose de faite. Une autre bouteille à la mer.  Je ne sais pas trop quand je saurai si j'ai travaillé dans le vide. Puis je fais un premier jet pour l'horaire exact de la tournée en duo que je prévois pour novembre 2024. Ça, c'est le gros projet stressant sur lequel je dois mettre mes énergies. Une autre petite étape de franchie. Je perds la notion du temps et je suis presque en retard au souper de fête.

23 octobre @ Espace Orange de l'édifice Wilder, Montréal
Versa est in luctum cithara mea… de Vergil Sharkya' par des membres de l'Ensemble SuperMusique [Jean Derome (saxophone alto, flûtes), Audréanne Filion (violoncelle), Diane Labrosse (échantillonneur), Cléo Palacio-Quintin (flûtes), Vergil Sharkya' (skaytarbass, direction), Pierre Tanguay (batterie)] et les invitées Julie Delisle (synthétiseur, électroniques, flûtes) et Alexandra Tibbitts (harpe, électroniques)
monnomest, de Joane Hétu, dédiée à Rémy Bélanger de Beauport, par l'Ensemble SuperMusique [Jean Derome (saxophone alto, voix), Guido Del Fabbro (violon), Audréanne Filion (violoncelle), Lori Freedman (clarinette basse. voix), Joane Hétu (cheffe), Julie Houle (tuba, voix), Diane Labrosse (échantillonneur, voix), Cléo Palacio-Quintin (flûtes, voix), Danielle Palardy Roger (percussions, voix), Jean René (alto), Vergil Sharkya' (synthétiseurs, voix), Pierre Tanguay (batterie), Scott Thomson (trombone, voix)]

Ouf, je me donne quelques temps pour recevoir cette dédicace. La réception informelle qui suit est un moment marquant. Des rencontres entre les sphères autrement indépendantes de ma vie. Je sens le souvenir se construire. « Te rappelles-tu, tsé au concert de l'Ensemble SuperMusique le 23 novembre 2023? »

Vendredi 24 novembre

Jour de retour à New York. Je me rends compte que c'est chez-moi ici, même si ce n'est que momentanément. L'impression très claire de revenir chez-moi.

Départ en bus à 9 h 30. Arrivée à l'aéroport à 10 h 30. Ça se passe tellement bien qu'à 11 h je suis déjà rendu à ma porte d'embarquement. Le vol part à l'heure à 13 h 15. Ma routine de vol : changer la clé sur mon porte-clé, remplacer l'argent canadien par l'argent américain, changer la carte SIM dans mon téléphone. Arrivé à New York à l'heure, l'autobus gratuit est là, le métro est là et à 16 h je suis chez-moi. Je voulais faire mille choses, mais je n'en fais aucune. Repos.

Samedi 25 novembre

Un avant-midi de planification. Proust dit « une » avant-midi et à chaque fois ça me surprend. Les concerts à venir. Les amis qui viennent me visiter. Des emails de travail. Je fais de l'horaire. Je fais l'épicerie. La journée tire déjà à sa fin. Cette impression familière de n'avoir rien fait alors que je n'arrête pas. Je me fais une bonne pratique de violoncelle en réchauffement pour demain, j'ai une session de prévue avec une violoniste. Puis je mixe ma session de lundi passé avec le pianiste. De très bonnes affaires, musicalement!

C'est un peu ridicule d'utiliser mon téléphone pour la prise de son, puis devoir passer des heures sur un logiciel à essayer de fabriquer un son acceptable avec l'enregistrement. Mais c'est comme ça, j'ai l'impression que la présence d'un vrai appareil d'enregistrement viendrait colorer la rencontre d'une façon dommageable pour l'authenticité ou je ne sais pas trop. J'attends le bon moment pour vraiment tout réécouter cette session avec le pianiste, y mettre le niveau d'attention dont je suis capable et grâce auquel je peux peut-être apprendre quelque chose.

Puis la vie me fait une jambette! Le genre de niaiserie qui me coûtera plusieurs heures : je n'ai plus d'espace dans mon google drive. Une autre affaire! J'en ai besoin pour partager la session avec le pianiste. Je révise tous les fichiers du google drive, aussi occupé par tous les emails. Retour dans le temps à 2008, 2011, 2017. Effacer des affaires, effacer, effacer. Je mets quelques documents de côté pour les archives.

Je retrouve un fichier très important pour moi et que je croyais perdu à jamais : mon entrevue à Radio X en 2017, alors que mes fesses avaient eu leur minute de gloire dans l'édition web du Journal de Montréal et que je me préparais pour ma première résidence de création, qui avait la particularité de se passer sur un camping naturiste en Ontario. Mon entrevue à Radio X est un moment d'anthologie. J'ai grandi dans les « concours de boules » de Jeff Filion, où il faisait gagner des augmentations mammaires à son émission du matin, j'ai grandi avec la voix de mononcle frustré d'André Arthur, je me réécoute parler avec l'animateur du moment et je suis fier de parler de ma musique en utilisant le ton et le langage de ceux qui devraient logiquement être mes intimidateurs. D'ailleurs, c'est une entrevue au téléphone et aussitôt que je raccroche, le co-animateur se se met à rire de moi et de ma démarche. Ils mettent des extraits trouvés sur youtube et ridiculisent ce qu'ils entendent. Mais j'ai réussi à convaincre l'animateur on dirait, qui se porte quasiment à ma défense. Déjà à ce moment, je n'avais pas besoin de l'approbation de Radio X. Il faudrait bien que je fasse quelque chose avec cet enregistrement. Je me donne du travail, je sais.

Puis, je me rends aussi compte qu'un fichier très lourd que j'avais eu toutes les misères du monde à obtenir, et perdu tout espoir de récupérer en juillet passé, à la veille de partir pour New York, est là, disponible et prêt à être téléchargé comme par miracle. Il s'agit de la captation vidéo d'une prestation en trio où il y avait eu pas mal de déplacements. Le fichier de la caméra fixe pèse plus de 20 Gigs. J'ai une dizaine de fichiers séparés pris avec une caméra à l'épaule, et le fichier de la captation sonore. Une grosse job de montage à remettre sur la liste de choses à faire.

Re-jambette, c'est maintenant mon ordinateur qui est plein. Merde, je suis là dessus jusqu'à 1 h du matin. Tellement platte comme préoccupation.

Dimanche 26 novembre

Je continue l'épreuve de l'archivage et du ménage d'ordi. Puis sitôt revenu de Montréal, sitôt une session, cette fois avec une violoniste rencontré à un concert à P.I.T. la semaine passée. Une belle rencontre, musicale et humaine. On parle de New York, du mystère de l'argent ici, de comment les gens font pour survivre. J'ai deux concerts à aller voir simultanément ce soir, mais le cœur n'y est pas. Je vais nager à Stuyvesant High School à la place. Je sens la fin du séjour arriver. Combien me reste-t-il de visites à cette piscine?

Lundi 27 novembre

Lundi yoga? Je commence par travailler en masse sur mon projet de tournée en novembre 2024. Des bonnes nouvelles, des moins bonnes nouvelles, mais surtout un budget à présenter et plein de textes à écrire. Ça me stresse! Je finis de ramasser et classer les quelques factures de mon voyage à Montréal. Je finis de faire à souper et il est déjà trop tard pour aller au yoga. J'imprime les questions du formulaire pour ma demande de subvention, projet novembre 2024, et je travaille enfin là dessus dans le métro en direction d'un concert.

27 novembre @ Sisters, Clinton Hill Brooklyn
Cecilia Lopez (électroniques, sculpture de fils, synthétiseur)
duo [Chris Corsano (batterie), Nate Wooley (trompette)]
trio [Chris Corsano (batterie), Cecilia Lopez (électroniques, synthétiseur), Nate Wooley (trompette)]

Je ne regrette pas d'assister à ce concert! Wow. Cecilia Lopez a installé une espèce de sculpture, comme un gros filet de pêche fait avec du fil audio, il y a des petits speakers là dedans, c'est accroché à un fil tendu comme une corde à linge. Je ne sais pas ce qui se passe, mais on voit le tas de fils se balancer et on entend le résultat manipulé en direct par le synthétiseur. Puis, on est abasourdi par le duo qui suit. Je suis avec Nico et Conner. Adossés au bar, on se regarde en voulant dire, iiihh ooohhh woahhh. Évidemment que le trio final est complètement différent, mais tout aussi bon. Je commence à manquer de mots pour les éloges. Je retiens de ce concert l'énorme virtuosité de Chris Corsano aux drums et objets, que je voyais pour la première fois, le talent inouï de Cecilia Lopez que je commence à connaître après deux fois, et la versatilité sensible et étonnante du trompettiste Nate Wooley. 

Mardi 28 novembre

Je commence la journée le nez dans le nouveau Fonds du Canada pour des collaborations avec la Corée. Est-ce que je manque de travail? Une de mes anciennes coloc, pour un ou deux mois à Berlin en 2008, est originaire de la Corée. On se donne des nouvelles de temps en temps, et on a toujours parlé de peut-être faire un projet ensemble un moment donné. Elle a vraiment une super énergie, qui match bien avec la mienne. Elle a eu un enfant récemment il me semble, et aux dernières nouvelles elle partage sa vie entre Séoul et Berlin. Est-ce qu'un projet ensemble serait éligible? Est-ce que ça lui tente? Il faut être à l'affut! Même dans le rush d'autre chose.

Je n'ai pas obtenu la résidence de création en janvier 2024 pour laquelle j'avais pris une journée pour appliquer l'autre fois. Je fus à l'affût. Ce fut un non. Encaisser le rejet. Recevoir ce email d'une seule ligne. Au moins je n'avais pas mis toute mon âme là dedans. Ni même une partie de mon âme. Il fut un temps où mes projets fonctionnaient comme les horcrux de Voldemort : chacun un écrin précieux où je plaçais une partie de mon âme, et quand on me le détruisait, c'était une partie de moi qui partait avec et j'en avais pour des semaines, des mois à m'en remettre. Il ne faudrait pas faire ça. Et y'a rien qui gosse plus, quand on a été élevé à Radio X, qu'un artiste qui braille de ne pas avoir eu sa subvention. En tout cas pour cette fois, je n'avais pas trop mis mon âme dedans, ça va. Est-ce qu'en mettant plus d'âme j'aurais eu plus de chances d'obtenir la résidence? Honnêtement, non. J'apprends à travailler plus vite et réserver mes vrais superpouvoirs pour les 2-3 projets en haut de la liste. Sinon je burn.

Je trouve que je ne nage pas assez, je réserve ma place au YMCA pour cet après-midi, j'arrive avec quelques minutes de retard et il ne me reste plus que 20 min. Un sandwich dans la petite cafétéria du Whole Foods en partant, la première place où je me suis arrêté pour reprendre mes esprits lors de ma première journée à New York. Des souvenirs se construisent ici aussi. Lentement ça se grave en mémoire. Des lieux anodins se chargent de vécu.

28 novembre @ Union Pool, Williamsburg Brooklyn
Selendis Sebastian Alexander Johnson (trombone, objets)
Warp Duo [Scott Li (électroniques, violon électrique), Levi Lu (voix, électroniques, violon amplifié)]
quartet [Laura Cocks (flûte traversière, piccolo), Chris Corsano (batterie), Wendy Eisenberg (guitare électrique), Madison Greenstone (clarinette, clarinette basse)]

Un concert après la sandwich. Selendis joue vraiment bien. Beaucoup de silences. Elle a vraiment une présence particulière, elle s'impose sur l'espace. Son jeu est assez décousu, ça s'arrête, ça reprend, je suis impressionné, je constate que la pièce se tient malgré tout. Il y a vraiment une multiplicité de structures possibles en musique. Un moment donné elle a un problème avec sa coulisse de trombone, elle essaie de dévisser quelque chose, le tout en silence, elle dit même : « I'm making progress » après avoir demandé si quelqu'un a des pinces. On est avec elle, sa pièce ne tient à rien, chaque arrêt pourrait être la fin, on attend un signe.

Puis, je ne me tanne pas de dire que je viens de voir peut-être une des meilleures prestations que j'ai vues depuis longtemps. Le Warp Duo, ayoye. C'est avec Levi Lu, que j'avais vu·e en solo il y a quelques semaines. Est-ce que j'en avais parlé ici? Oui, avec erreur dans son nom, et sans mentionner que cette fois là j'avais su plus tard qu'iel jouait avec un capteur de mouvement (fréquences?) dans l'anus. Surprise! Ça ne se voyait pas. Pas de capteur surprise pour aujourd'hui en tout cas. Iel commence en chantant ou en sifflant, c'est très très beau et aérien avec l'accompagnement des petits synthétiseurs de Scott Li, dont la face qui se tord, la bouche qui s'ouvre, ajoute à l'expression musicale. Plus ça avance, plus on se laisse aller avec elleux! Levi Lu sort un violon! Iel joue vraiment bien, c'est ça la surprise ce soir. Et voilà que Scott Li sort aussi un violon! Impossible, iel est véritablement virtuose. On est transporté, iels jouent pendant près d'une heure sans interruption. Il ne me reste plus rien à donner au quatuor à la fin du concert, qui aurait bénéficié d'un peu de basse et de moins de volume selon moi. Je subis plus que je ne profite de leur musique, mais je suis bien assis sur le seul banc de la place tout au fond. C'était ma première fois à Union Pool, une très belle salle dans le style modeste, délabrée-mais-pas-trop. 

Mercredi 29 novembre

J'écris ceci à toute vitesse. J'écris ceci calmement. Je me suis levé tard, après avoir passé trop de temps terrassé au lit par les reportages de Gaza et le stress de compléter ma demande de subvention pour la tournée de novembre 2024. Encore ce projet, dont les vagues de stress me poursuivent depuis des mois. J'étais debout vers les 11 h, vaisselle, toasts dorées, douche et il est déjà 14 h. Je vais au Joe Coffee, celui que j'aime bien sur la rue Waverly pas très loin de Washington Square Park où je croise une dizaine de manifestant·es pro-israéliens caché·es derrière une ligne d'une cinquantaine, d'une centaine de manifestant·es pro-palestiniens qui chantent, scandent des slogans. Quel culot de sortir au parc avec un énorme drapeau d'Israël. Plusieurs collègues musicien·nes ont partagé une « mobilisation, pas une célébration » tantôt au Rockefeller Center, pour profiter de la fameuse illumination du fameux sapin. Ma priorité est à mon travail en ce moment — quel privilège, quand on y pense, de manquer de sommeil par anxiété de bien préparer une tournée dans un an, plutôt que parce qu'on a perdu ses proches dans un bombardement et qu'on n'a nulle part où aller — et, au risque de décevoir toutes les personnes de ma vie qui souhaiteraient me voir à l'illumination-du-sapin-manifestation, je vais passer pour ce soir. Pas de sortie, pas de concert; je vais cuisiner, car j'ai acheté des champignons et ils vont passer date si je ne les utilise pas, et je vais soit travailler, soit chiller pour être capable de travailler demain. Je suis au Joe Coffee, c'est plein à raz-bord mais ça travaille bien ici. Juste comme je m'assois, ils font jouer du Sonic Youth. La musique n'est pas forte, il faut savoir. Mais je sais, et je suis ému car New York est la ville de Sonic Youth, ce band qui me suit depuis mon adolescence, et c'est la première fois que j'en entends ici. Il est 15 h.

Puis il est 17 h. Il fait noir et la porte du café qui m'ouvre dans le dos laisse de plus en plus d'air froid m'agacer. Faut que je rentre. Une chose de faite.

Les comptes-à-rebours se superposent. 4 jours avant mon concert avec le Creative Music Studio's Improvisers' Orchestra, 7 jours avant de déposer pour ma tournée (ahhhhhh), 17 jours avant de déposer pour une résidence à Berlin de calibre « si j'essaye pas je l'aurai jamais, mais je pense pas vraiment l'avoir » — on sait que c'est avec cet état d'esprit que j'ai appliqué pour New York — et 32 jours avant mon retour à Québec.

samedi 18 novembre 2023

studio du Québec à NYC : jours 105-106-107-108-109-110 sur 151

Mardi 14 novembre

Je me suis acheté une pédale d'effet pour le violoncelle, la Particule 2 de Red Panda. Ça fait très longtemps que je pense à cet achat, ça se compte en terme d'années. Des années avant d'oser dépenser 350$ sur mon occupation principale. C'est comme ça. Dire que je me suis demandé sérieusement si je n'allais pas m'acheter les très belles mitaines Louis Vuitton en vente à la boutique au rez-de-chaussée. Une certaine mathématique absurde m'a fait passer à l'action sur la pédale : en voulant prendre des nouvelles des mitaines, je me suis rendu compte qu'elles n'étaient plus disponibles sur le site, qu'elles avaient donc été vendues et que je devrais arrêter de me demander si je n'allais pas faire la dépense. Autrement dit, je venais de faire une économie de 400$ en ne les achetant pas. Donc j'avais le budget pour la pédale.

J'ai reçu la pédale hier, et aujourd'hui j'ai fait une petite tournée du quartier pour trouver un power supply et des fils. Puis j'ai fait mes premiers essais. La Particule 2 opère en synthèse granulaire, un procédé vraiment pas évident à comprendre et appliquer. Je le savais, maintenant au travail. Comme n'importe quel outil, il faut mettre les heures de pratique.

Puis tiens, j'ai reproduit mon programme de mardi passé d'aller nager à la plage horaire de 17 h 15 à 18 h au YMCA avant d'enchaîner avec un concert triple à la Downtown Music Gallery. Non sans tergiverser toute la journée, car il y avait aussi une de mes anciennes collègues de classe du temps où on était à l'université qui donnait une conférence à Columbia Unversity, où elle est maintenant chargée de cours, sur la compositrice Kaija Saariaho. J'aurais vraiment aimé revoir ma collègue, le sujet m'interpelle, mais il faut bien faire des choix.

Je pense beaucoup à ça ces jours-ci, faire des choix. À New York, il y a tellement d'options qu'on peut passer la journée à tergiverser, à se demander à quel évènement aller, choisir entre ce qui a le potentiel d'avancer sa « carrière », apprendre quelque chose pour « développer ma pratique », etc. Et au final le temps de tergiverse est du temps perdu. Il faut choisir. Et nécessairement tourner le dos à quelque chose qui avait le potentiel d'être déterminant. Il faut aiguiser son focus, ou s'éparpiller volontairement. J'apprends quelque chose, mais je ne sais pas quoi exactement. En lien avec l'attention et les choix. Je vais finir par mettre le doigt dessus. Il faudrait aussi que je me donne le droit de ne pas toujours être en train de vouloir apprendre quelque chose. En tout cas, j'adore New York.

14 novembre @ Downtown Music Gallery, Chinatown Manhattan
trio [Kenneth Jimenez (contrebasse), Camila Nebbia (sax ténor), Randy Peterson (batterie)]
trio [Marc Edwards (batterie), Gian Perez (guitare électrique), Michael Gilbert (basse électrique)]
Patrick Golden Group [Sally Gates (guitare électrique), Patrick Golden (guitare électrique), Matt Hollenberg (bass VI), Ryan Siegel (sax)]

Une autre soirée de musique incroyable à DMG. Le premier set me fait découvrir la saxophoniste Camila Nebbia, dont les idées se renouvellent sans cesse. Elle décortique ses phrases, les reprend un peu selon un traitement thématique, mais toujours avec beaucoup de passages juste de textures ou de gestes, en frôlant le free jazz sans exactement y aller. Avec un superbe contrebassiste que j'avais vu à iBeam il y a quelques jours dans un grand ensemble, qui pousse le trio ici et qui sonne gros de même. Le tout soutenu par un drummer très réactif. Puis le deuxième set comme une épreuve d'endurance. Ils partent dans le piton et n'arrêtent pas. Le guitariste fait des faces de guitar god et c'est excellent, j'ai rarement vu cette attitude en musique improvisée. Le bassiste pitonne comme j'ai rarement vu et sonne bien saturé avec de la grosse distorsion. Alors que le guitariste et le bassiste me donnent l'impression de jeunes loups avides de shred, le drummer est un vieux de la vielle qui ne laisse pas sa place, jeu non stop très très rapide. En arrivant au troisième set, il ne me reste plus d'énergie ni d'attention, j'écoute un peu plus distraitement avant de rentrer à pied comme à mon habitude.

Mercredi 15 novembre

Une journée à ne pas sortir de l'appart. L'impression d'avoir manqué à mon devoir. Il faut absolument que je réécoute le podcast de Daphnée B. sur les artistes en résidence. Je vais le réécouter et y répondre ici, c'est tellement juste. Notamment ce choc de passer de notre pauvreté relative au luxe de l'appartement en résidence (une table à manger?!) et cette obligation de performer qu'on se donne soi-même face à l'institution à qui on dit merci merci merci. À suivre j'y pense depuis 2 semaines, je vais finir par le faire.

Longue séance de yoga. Très longue pratique de violoncelle avec la Particule 2, j'y vais méthodiquement. Faire à souper, une batch de pâtes. Je tergiverse, aller voir l'inimitable Norvégien Lasse Marhaug à Artsists Space ou je ne sais plus quoi. Finalement je me range du côté de la majorité pour une fois, celle qui reste chez-soi devant l'écran.

Tellement de films se passent à New York, il faudrait bien que je m'y intéresse (n'était-ce pas mon devoir, comme artiste en résidence à NYC?). Maintenant que je connais la ville un peu, je reconnais des endroits réels dans les œuvres de fiction, mais selon ma propre expérience. Je choisis d'écouter After Hours de Martin Scorsese, une comédie plutôt humour noir sortie en 1985. Un financier à la vie platte rencontre une femme dans un café et décide de la rejoindre dans Soho (mon quartier). S'ensuit une longue nuit pleine de rebondissements aussi improbables les uns que les autres. Sans identifier de repères directement, je note les éléments typiques de Soho : rues en pierres, escaliers de secours en ornements de façades.

Jeudi 16 novembre

Évidemment qu'il faut que je me venge de mon oisiveté de la veille (comme si la pratique de violoncelle ne comptais pas). J'en profite pour aller visiter une autre bibliothèque, la Jefferson Market Library, ancien palais de justice construit en 1833.

Je traîne même mon lunch. Je travaille là toute la journée sur l'ordinateur avant de me diriger vers Columbia University manger mes pâtes au froid dehors parce qu'il faut y étudier pour pouvoir s'asseoir à l'intérieur. À 80 000$ de frais de scolarité par année au baccalauréat, il faut bien qu'il y ait des avantages étudiants. J'y suis pour un concert à 20 h.

ambiance sur le campus de Columbia University

16 novembre @ Miller Theatre at Columbia University, Morningside Heights Manhattan
Zorn@70 Barbara Hannigan + John Zorn
Star Catcher (2022) [Stephen Gosling (piano), Barbara Hannigan (voix)]
Split the Lark (2021) [Barbara Hannigan (voix), JACK Quartet [Jay Campbell (violoncelle), David Fulmer (violon), Christopher Otto (violon), John Richards (alto)]]
Liber Loagaeth (2021) [Stephen Gosling (piano), Barbara Hannigan (voix), Jorge Roeder (contrebasse), Ches Smith (batterie)]
Ab Eo, Quod (2021) [Jay Campbell (violoncelle), Stephen Gosling (piano), Barbara Hannigan (voix), Sae Hashimoto (vibraphone, percussions), Ikue Mori (électroniques)]
Pandora’s Box (2013) 
Barbara Hannigan (voix), JACK Quartet [Jay Campbell (violoncelle), David Fulmer (violon), Christopher Otto (violon), John Richards (alto)]]
Nazdar Poupon Nazdar [Stephen Gosling (piano), Barbara Hannigan (voix)]

La légendaire chanteuse d'opéra et cheffe d'orchestre spécialiste de musique contemporaine Barbara Hannigan. Dont j'ai écouté tous les vidéos sur youtube. Devant moi en chair et en os. Dans un programme tout John Zorn, parfois assez casse-gueule. Elle est vraiment bonne pour vrai. Mais on dirait que le fait qu'elle soit bien réelle la diminue presque. Comme si passer de la fiction de l'écran à la réalité du corps dans l'espace la rend plus humaine, donc moins idéale, moins surhumaine. Un des moments marquants de La recherche du temps perdu de Proust est la première fois où le narrateur voit l'actrice surnommée la Berma. Il se l'est imaginée pendant des pages et des pages, il est prêt à être charmé par celle qu'il tient déjà pour la meilleure actrice de son époque. Mais... « Mais en même temps tout mon plaisir avait cessé; j'avais beau tendre vers la Berma mes yeux, mes oreilles, mon esprit, pour ne pas laisser échapper, une miette des raisons qu'elle me donnerait de l'admirer, je ne parvenais pas à en recueillir une seule. Je ne pouvais même pas, comme pour ses camarades, distinguer dans sa diction et dans son jeu des intonations intelligentes, de beaux gestes. Je l'écoutais comme j'aurais lu Phèdre, ou comme si Phèdre elle-même avait dit en ce moment les choses que j'entendais, sans que le talent de la Berma semblât leur avoir rien ajouté. » Mon expérience devant Hannigan est certainement plus positive que celle du narrateur de Proust devant la Berma, mais peut-être que je voudrais moi aussi que la matérialisation de la cantatrice fut plus grandiose, plus grande que nature encore. Si je revois Barbara Hannigan, peut-être que tout comme le narrateur de La recherche, quelque 600 pages plus loin, je réussirai à être transporté par la réalité de l'artiste telle quelle, libérée du filtre de l'imagination.

Au programme, des pièces qui vont du murmure à l'éclat, de la dissonance au bruit en passant pas des passages presque pop, je croyais même entendre Tori Amos au piano pendant quelques secondes. Les musicien·nes sur scène sont renversants, Zorn sait bien choisir ses interprètes. La dernière pièce était une surprise, pas au programme, avec un texte en français dont je n'ai pas compris grand chose, jusqu'au titre, que Zorn a pourtant dit 3-4 fois. Pour une pièce qu'il a écrite quand il avait 15 ans, chapeau! Il écrit bien pour le piano, ce qui n'est pas une mince affaire. Mais qui est ce John Zorn, comment fait-il pour en faire autant dans sa vie? Adolescent, il aurait étudié l'orchestration et le contrepoint en autodidacte en repiquant des musiques de film. Bin voyons! Il a quitté un bacc. en composition après même pas deux ans. Il pourrait se contenter de composer de la musique de concert. Mais il compose de la musique de films, de la musique pour ensemble d'improvisateur·ices, de la musique qui touche à la tradition juive, du free jazz, des trucs plus musique contemporaine comme ce que j'ai vu ce soir. Puis il a une étiquette de disques avec des centaines d'albums, de lui et d'à peu près tout ce qui bouge en musique improvisée. Puis il administre la petite salle The Stone où, 4 jours par semaine, des musicien·nes qu'il sélectionne lui-même produisent des concerts. Et il n'a pas l'air brûlé, au contraire, à 70 ans il monte sur scène avec ses culottes d'armée modèle camouflage noir et blanc, son t-shirt lette, et est chez-lui partout. Né à New York tu dis.

Vendredi 17 novembre

Réveillé un peu tôt, je scroll sur instagram. Les enfants pleurent en Palestine. Tout le monde pleure partout dans le monde, sauf les quelques caves qui fabriquent les armes, les vendent, les utilisent. Il n'y a plus d'eau. Le clash est vraiment intense, j'ai encore une boule dans la gorge des images que je vois quand je passe à une pub de lunettes soleil, puis à une annonce de concert à aller voir. Comment est-ce qu'on peut continuer à vivre alors que c'est le génocide d'un peuple? C'est fucké. La dernière élection à Gaza remonte à 2006. Ça veut dire qu'il n'y a personne en bas de 34 ans qui a voté pour le Hamas, c'étaient des enfants au moment de l'élection. Et de l'autre côté c'est pas mieux, le gouvernement à Israël a été élu à un bizarre de moment politique et aujourd'hui à peu près personne dans la population est de leur côté. Et ici, que ce soit aux États-Unis ou au Canada, tout le monde qui a une tête sur les épaules demande un cessez-le-feu. Demander un cesser-le-feu, quand on y pense, c'est le bout de la marde. Pourquoi est-ce qu'il y a des commencez-le-feu. Des le-feu tout court. Faites donc fondre tous les guns et fabriquez des chaises roulantes avec. Au Québec ça se demande bien sérieusement si Catherine Dorion est-tu punk ou est-tu pas punk, et les Cowboys fringants sont soudainement le band préféré de tout le monde. Bon bin...

On vit pareil, c'est étrange. Et parmi les joies de vivre, il y a celle de tomber par hasard quand même, après deux heures de doom scrolling, sur une publication de Kim Gordon, la bassiste de Sonic Youth et artiste dans mon panthéon des meilleures depuis longtemps, une publication qui dit que des places viennent d'être ajoutées pour un show de danse. Quoi, Kim Gordon a co-chorégraphié un spectacle de danse? Et c'est où? New York City évidemment. New York University Skirball à 10 minutes de marche de moi. Take my money! La danse, c'est toujours tellement cher. À 46$, pas si pire, mais c'est 65$ en canadiens. En tout cas rendez-vous ce soir.

Entre temps, je file à un café très instagramable pour finir la rédaction d'un dossier pour un appel de projets. En collaboration avec la danse justement. Ça complète le travail sur ce sur que je rédigeais hier. Une autre bouteille à la mer. Punk ou pas punk, come on.

17 novembre @ NYU Skirball, Greenwich Village Manhattan
dans le cadre du festival Dance Reflections by Van Cleef & Arpels
TAKEMEHOME de Dimitri Chamblas et Kim Gordon [Marion Barbeau (danse), Marissa Brown (danse), Eli Cohen (danse), Eva Galmel (danse), Pierrick Jacquart (danse), François Malbranque (danse), Jobel Medina (danse), Salia Sanou (danse), Kensaku Shinohara (danse)]


Les portes ouvrent, « à la demande des artistes »
juste 5 minutes avant que ça commence, sur ce décor

Le spectacle de danse est excellent. Neuf danseur·euses sur scène. Un moment donné, il y en a 5 debout sur des amplis de guitare en train de juste répéter un accord de guitare électrique toustes ensembles. Image puissante, et quel son! Les guitares sont calibrées très exactement sur le son de Kim Gordon. Le reste de la musique lui ressemble aussi. Je vis une émotion quand sa voix émerge enfin après une trentaine de minutes de drône : « take me home » qu'elle dit de sa voix un peu fausse instantanément reconnaissable, le titre de la pièce. Quelques images fortes, dont le début où des personnes du public sont choisies pour se coucher sur le dos sur scène et créer une contrainte supplémentaire aux passages des danseur·euses. Un moment donné, un danseur se gargarise pendant de longues minutes avec un liquide bleu pâle qui laisse des coulisses sur son visage; il fait couler le reste du liquide sur la bouche d'une des danseuses et les deux sont marqués jusqu'à la fin du spectacle. Une équipe de corps tous tellement différents, agiles, charismatiques. Sinon, ce n'est pas un spectacle qui change ma vie, mais il y a bien quelque chose de jouissant d'entendre de la musique si bonne à un show de danse. Par moments, la musique est tellement bonne que les danseur·euses peuvent quasiment prendre une pause et chiller sur scène pendant qu'on écoute. Quand tout le monde est en train de quitter la salle à la fin, je vois Kim Gordon arriver, ignorer complètement un fan qui veut lui dire qu'il a aimé bla bla bla, et continuer une conversation technique sur la projection du son dans la salle. Work!

Après tout ça, je vais m'asseoir au Washington Square Park juste à côté et j'observe les gens. Plusieurs petits groupes, plusieurs seuls comme moi, ça fait du skateboard, ça fume du pot, ça jase, plusieurs joueurs de musique, tam tam par-ci, guitare par-là, des itinérant·es, des fils de riche, des afros, des tresses, des blondinets, des casquettes. Le temps est doux ici, le moins de novembre n'a rien de l'invivable début d'hiver québecois que je connais habituellement. Des centaines de personnes chillent au Washington Square Park. Dans mes écouteurs, Nirvana live à Seattle en 1994 (ça vient de sortir pour les 30 ans de l'album In Utero) et je me sens pour un instant comme j'ai pu me sentir ado, une cassette de Nirvana bien usée dans mon walkman en train de regarder les skateurs au carré d'Youville.

Samedi 18 novembre

Aller nager ou ne pas aller nager? Aller à un concert-évènement des Musicians for Gaza, aller à un concert dans un sous-sol à Brooklyn ou rejoindre des amis qui vont voir Hunger Games au cinéma? Pratique de violoncelle? Finalement ma piscine à Stuyvesant High School est fermée pour la fin de semaine et il n'y a plus de place au YMCA. Je vais au café Now or Never écrire ceci. Pratique de violoncelle en revenant. Et direction Brooklyn.

18 novembre @ radicle wine, Clinton Hill Brooklyn
Weasel Walter (guitare électrque)
Brandon Lopez (contrebasse)
quartet[Tim Dahl (basse électrique, voix), Richard Edson (batterie), Matt Nelson (sax soprano, sax ténor), Hans Young Binter (piano fender rhodes)]

Weasel Walter est un drôle de personnage; sait ce qu'il fait, sait ce qu'il vaut. On jase pendant un moment, on a eu une mauvaise expérience avec la même musicienne il y 10 ans. Il dit que ces jours-ci, il se concentre à faire la musique qu'il aime même si personne ne l'écoute. Amen! Je le connaissais comme drummer, finalement il fait son solo à la guitare électrique et wow très hot, il manie ses pédales d'effet comme une deuxième instrument et j'ai l'œil pour ça ces jours-ci avec mon travail sur la Particule 2. Après Weasel Walter, c'est Brandon Lopez qui se livre à la contrebasse, tellement intense pour le peu de personnes sur place. Intransigeance et intégrité.

Pendant que le dernier set s'installe, je jase pas mal avec un autre des spectateurs, un musicien qui ne joue pas ce soir, mais que j'ai déjà vu quelques fois en concert. Ça fait du bien de sentir comme une petite ouverture pour moi dans la communauté. Le dernier set est renversant. Fort volume, tellement qu'on a peine à entendre le pianiste qui fait des signes que son ampli est au maximum. Bien qu'il n'y ait pas un rythme qu'on peut suivre, on se croirait dans un show punk. La salle minuscule et maintenant bondée comme par magie. Ça sent l'alcool, surtout le scotch et le vin de riche de la boutique sous laquelle on se trouve. Les gens bougent au son de la musique, un moment donné il y a quasiment un slam. Le bassiste-chanteur domine le band. J'apprends plus tard qu'il est un collaborateur de longue date de la légendaire Lydia Lunch, en plus d'avoir toute une feuille de route de rocker parmi le free jazz. J'apprends à l'instant, en écrivant ceci, que le drummer est en fait un acteur qui a joué dans plus d'une centaine de films en plus d'avoir été le premier drummer de Sonic Youth en 1981. Bin coudon!

Dimanche 19 novembre

Aujourd'hui, je suis dans un autre café instagramable, le Stone Street Café de la rue Broome, let's go et j'essaie de finir d'écrire ceci, qui n'arrête plus de s'allonger. Je voudrais ne rien oublier de ce que je vois à New York. Je voudrais nager beaucoup plus. Je voudrais pratiquer beaucoup plus. Je voudrais pousser beaucoup plus pour jouer avec des musicien·nes de la scène, voire même prévoir des concerts. Je voudrais passer beaucoup plus de temps à prévoir les mois à venir en répondant aux appels de projet et en travaillant mes demandes de subventions (je suis dans un stand-by insoutenable sur un dossier, où Toronto ne me donne aucune nouvelle depuis le 12 septembre, malgré ma relance du 30 octobre, je suppose que je devrais déjà tout préparer, plan A et plan B pour le dépôt de mon projet total le 6 décembre). Je voudrais aller voir plus d'art, notamment de la danse et de l'art performance, qui se passent évidemment ici assez pour remplir en double et en triple tous les jours de tous les calendriers. Retourner au MoMA passer du temps de qualité avec une ou deux œuvres sélectionnées. Je voudrais prendre le temps de réfléchir plus loin à ce que je veux que mon expérience ici m'apporte. Je voudrais faire quelque chose pour Gaza (tant qu'à rien faire). Je voudrais consacrer du temps aux débuts d'amitiés que je forme ici, car je repars dans à peine un peu plus un mois. Et avec tout ça, je ne suis même pas encore à la page 200 (sur 1100 quelque) du 2e tôme sur 3 de La recherche du temps perdu. Toute est dans toute.

Et c'est un peu ça la question des choix, de tergiverser. Ce soir il y a un concert de Lydia Lunch, peut-être la seule occasion de ma vie de voir cette artiste importante pour plusieurs artistes que moi je trouve importants. Il y a aussi un concert à P.I.T. où je pourrais peut-être un peu plus poursuivre ce sur quoi je travaille plutôt que d'envoyer mon attention sur la scène parallèle de Lydia Lunch. Ah!

Demain, je rencontre un pianiste taïwanais pour une session. Il faudra que je prenne une pause au milieu de notre rencontre, pour rejoindre une réunion avec des gens de Québec au sujet d'un concert en mai prochain. Puis j'ai un concert à voir à Sisters, Brooklyn. Ou bien mon yoga du lundi. Ou bien nager.

[Ici Rémy du futur, le 7 janvier 2024 après avoir passé près de 2 h à chercher quand est-ce donc que j'avais vu Cecilia Lopez pour la première fois... eh bien c'était ce soir du dimanche 19 novembre, et je ne l'avais pas noté.]

19 novembre @ P.I.T. Property is Theft, Williamsburg Brooklyn
trio [Cecilia Lopez (synthé analogue), Brandon Lopez (contrebasse), Mat Maneri (alto)]
Sam Newsome Trio [James Paul Nadien (batterie), Adam Lane (contrebasse), Sam Newsome (sax, objets)]