mardi 15 août 2023

studio du Québec à NYC : jours 13-14 sur 151

13 août @ Roulette, Brooklyn
Zorn@70 at Roulette Part 2 : Cobra [Trevor Dunn (basse électrique), Wendy Eisenberg (guitare électrique), Sae Hashimoto (vibraphone, percussions), Taylor Levine (guitare électrique), Brian Marsella (piano), Ikue Mori (électroniques), Michael Nicolas (violoncelle), Miles Okazaki (guitare électrique), Jorge Roeder (contrebasse), Alexandra Simpson (alto), Ches Smith (batterie, percussion), Kenny Wollesen (batterie, vibraphone), John Zorn (composition, prompter)]

Concert incroyable à tous les niveaux. Superbe salle pas trop petite pas trop grande (je suis arrivé une heure d'avance pour être bien sûr, tout d'un coup, et à ma grande surprise une file à l'extérieur commençait à entrer), superbe balance de son, pas facile pour ce genre de contexte. Aussi superbe direction d'un John Zorn très enthousiaste et très fier de son band. De temps en temps, il se retournait un peu vers la foule en ayant l'air de vouloir dire « avez-vous vous ça? non mais avez-vous vu à quel point mes musicien·nes sont extraordinaires? »

Dans le cadre de cette pièce, John Zorn se donne le rôle de prompter et c'est un mot très intéressant et bien choisi. Traditionnellement, un prompter c'est un souffleur au théâtre, la personne en coulisses qui aide avec une réplique ou une partie de texte. Mais le mot est aussi simplement le suffixe -er (-eur en français, la personne qui fait l'action du mot, souvent un verbe, comme le skieur fait l'action de skier) ajouté au mot prompt qui veut dire : soit, comme en français, la promptitude; soit une idée de départ, dans le sens d'une writing prompt par exemple, un sujet donné comme partance pour l'écriture; soit la personne qui fait l'action de mettre une autre personne en action. Devant l'ensemble, Zorn était vraiment tout ça comme prompter : souffleur, pousseur, encourageur, très rapide et clair sans jamais être despote. Les musicien·nes sont en bonne partie en charge de proposer les évènements dans cette pièce, et Zorn relaie l'information. Mais il ne voit pas tout, ou choisit de ne pas tout voir! Vraiment un bon chef. J'ai écouté une entrevue récente où il dit que depuis toujours, il écrit de la musique avec l'intention de fournir aux musicien·nes des occasions d'être mis·es en valeur. Ce dimanche 13 août à la légendaire salle Roulette, j'en ai eu un bon exemple avec la présentation de quatre versions Cobra.

Dans l'orchestre, tellement de bon·nes musicien·nes. Je ne connaissais pas du tout le violoncelliste et je lis sur son site qu'il est d'origine canadienne-française et taïwanaise, né au Canada, déménagé aux États-Unis, gradué de la prestigieuse Julliard, membre de l'International Contemporary Ensemble, du quatuor Brooklyn Rider, invité de plein d'orchestres. Personne ne m'avait parlé de lui avant, come on, mes collègues dorment au gaz. Tik tik tik. Anecdote : mon réveil-matin est une musique choisie au hasard parmi une sélection d'environ 3000 fichiers, et ce matin je me suis réveillé en sursaut parce que j'ai cru que quelqu'un voulait allumer et faire exploser mon poêle quand j'ai entendu le « tik tik tik tik » du début de Plateau, sur Meat Puppets II. C'est vraiment le même son! Pas tant.

Lundi 14 août 2023

Lundi relax. J'ai lavé le plancher de la cuisine, que je trouve graisseux depuis le début. Je me demande si les autres résident·es allaient nu pieds comme moi. Je me demande aussi avec quoi les gens nettoient, car je n'ai trouvé aucun produit à date en cherchant les armoires. Est-ce que Michel Tremblay a passé la moppe quand il habitait ici, comme je m'apprête à le faire dans quelques jours, ou est-ce qu'il y a du monde qui sont trop hot pour ça et à qui on fournit un service de ménage?

Lundi relax. Pratique de violoncelle. Pas de nouvelles du voisin. En regardant vers chez lui à partir de la rue, j'ai remarqué qu'il semble avoir des climatiseurs installés dans chacune de ses fenêtres. Si son appartement est fait comme ici, ça fait 4 climatiseurs pour une seule grande pièce. Et si tout ça est allumé en même temps, ça doit faire un de ces vacarmes. Il peut bien marcher comme un éléphant et ne pas se plaindre de mes pratiques.

Lundi relax. Je n'en parle pas beaucoup, mais cette résidence à New York arrive en même temps que ma relecture d'À la recherche du temps perdu, de Proust, relecture dont je m'étais fait la promesse il y a 20 ans quand j'ai lu le livre pour la première fois. Je passe donc beaucoup de temps anachronique, anagéographique, comme enveloppé dans les décors dont Proust me fournit les impressions, parmi la bourgeoisie française du début du XXe siècle, les salons, les coteries, les désirs et tourments amoureux universels, les épiphanies artistiques du narrateur, etc. Quel chef d'œuvre. En ce lundi 14 août, je pensais à ça, entre deux paragraphes — il n'y a pas beaucoup de paragraphes — du deuxième tome, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, relevant la tête d'un épisode particulièrement émouvant, quittant Odette de Crécy, M. Swann et Gilberte pour retrouver la Thompson Street et son très générique Drip Drop Café dont j'étais en train d'essayer la terrasse, avec mon café et muffin pour 16,24$ canadiens (un record).  

Lundi relax. Soir de mon cours de yoga, ça fait du bien d'avoir au moins une chose qui se répète dans la semaine; toujours une aussi bonne classe avec la prof. Puis pour continuer dans la répétition, comme la semaine passé j'ai fait suivre mon yoga par un show au CARA.

14 août @ Center for Art, Research and Alliances, West Village Manhattan
Commissaires Anka Raczynska et Rat Porridge de Voluminous Arts
Tivali Tanay Thomas aka DOLLNXTDOOR (électroniques, DJ, poésie, performance)
Anka Raczynska (alto, alto électrique, électroniques)
Mercury Symbol aka Adonis Staten (no-input mixer, électroniques)
Rat Porridge (électroniques, voix)

Encore une fois, les décibels ont monté. J'ai ouvert mon bon vieux Decibel X, une app que je me rappelle avoir downloadé un soir à Berlin en 2018 (ou 2016?)  quand, dans un sous-sol écho à plafonds bas dans lequel on blastait du techno vraiment ordinaire, je m'étais demandé si je n'étais pas en train de me causer des dommages irréparables aux oreilles. Spoiler alert, ce soir là je m'étais fait rembourser mon billet et j'étais parti! Pas de billet à me faire rembourser hier, c'était gratuit. Et je pense que c'est vraiment pertinent la musique très forte, faite de bruits, de contrastes, la musique qui pousse le système de son à bout au point que ça sentait le plastique brûlé jusqu'à moi, au fin fond du corridor devant la salle. C'est une musique d'agression et ici de la recevoir telle quelle par des gens qui subissent la plupart du temps les préjudices et la violence au quotidien, c'est spécial et rempli de significations. J'ai mis mes écouteurs sur mes oreilles, une mesure de protection si facile comparé à ce que ces artistes doivent parfois faire pour se sentir en sécurité. Pour les 5 minutes où j'ai utilisé le Decibel X, il a enregistré une moyenne de 95 dB, avec un peak à 105 dB. Danger danger. Et je n'étais même pas dans la salle même quand j'ai pris ces mesures. L'organisation distribuait des bouchons à tout le monde.

Ça serait vraiment mal vu ici de brimer l'expression de quelqu'un. Par exemple, demander de jouer moins fort. Dans le contexte particulier de l'art comme ce concert, mais aussi en général dans la rue. Je n'ai pas vu de mouvement de panique de l'organisation quand ça s'est mis à sentir le plastique surchauffé. Advienne que pourra. Le matériel se remplace alors que l'occasion, le moment présent méritent la plus haute considération. Et moi qui m'en fais pour le voisin, ce n'est vraiment pas la vibe. 

Mardi 15 août

À la veille de la nouvelle lune, j'ai envie de faire de la musique et mon réseautage ne va pas vite, alors ce matin j'ai court-circuité et j'ai pris une chance d'écrire directement à Kwami Winfield, voir si ça lui tentait qu'on se rencontre pour un duo. Elle m'a répondu tout de suite positivement pour demain après 18 h. Euh ok!

J'ai été déjeuner au Landmark Coffee Shop, une binerie qui semble avoir survécu à la gentrification avec son menu très de base, très pas cher, très pas grano. J'ai pris le déjeuner N°1, deux œufs, rôties, petites patates et café, pour 7,95$. On ne demande pas quel genre de pain et quel genre d'accompagnement, c'est du pain blanc et la bouteille de sauce rouge. J'ai marché devant la boutique Supreme, fermée le temps de recevoir la nouvelle collection d'automne; ça fumait des gros pétards devant! Ensuite j'ai fait un peu d'épicerie au Whole Foods. Là j'écris et je fais un lavage. La construction se poursuit sur le toit ici, je suis dans un univers de bruits.

Ce soir : natation et peut-être un concert. La semaine passée, après avoir été nager mardi soir, j'avais été à un concert au sous-sol cuisant et suffocant du magasin de disque Downtown Music Gallery, qui semble présenter des concerts tous les mardis, et je répéterais bien l'expérience. L'info n'est pas encore disponible, à suivre. Sinon, il y a 5 shows de musique improvisée parmi lesquels choisir à Brooklyn, 1 show à Queens, il y a Bill Frisell en quintette au Village Vangard et il y a le festival TIME:SPANS qui présente un concert de musique contemporaine. Aussi, j'ai le droit de prendre un break.