vendredi 11 août 2023

studio du Québec à NYC : jours 9-10 sur 151

J'ai été déçu de moi-même avant-hier. Visite au fameux Times Square voir l'artiste présentée cette semaine par Pioneer Works. Parenthèse en partant, quelle bonne idée d'investir un lieu de type trappe à touristes comme ça avec une programmation alternative. The Commuter Series with Times Square Arts. Ça sonne. À quand La série brunch décriss au Château Frontenac? Mais Times Square. Arrivé fort bien sans problème en métro. Autre parenthèse, le transport en commun ici est vraiment top, je n'en parle pas assez. Tout en temps réel sur google maps, zéro stress, toujours plusieurs options pour se rendre. Parfois très très chaud dans la station de métro, vertisserie™ level, mais chacun sait que ça ne durera pas, car en effet le train arrive en quelques minutes et c'est climatisé à bord. Un bon climatisé là, pas trop froid, pas médical, et on sent que l'air circule, l'oxygène abonde. Je suis donc sorti du sous-terrain vers Times Square avant-hier, panorama 360° et en une seconde j'ai repéré les écritures dans les airs.

TIMES SQUARE un peu partout, des écrans des éCranS des éCRANS. Pour se rendre au carrefour principal, il faut passer dans l'épaisse fumée d'un petit food truck qui fait brûler ses saucisses 100% du temps, passer dans un petit tunnel temporaire à cause de la construction, traverser une petite rue sans attendre le signal avec la centaine de personnes qui fait ça en même temps. Et sur la place principale : asSauT toTaL late-stage capitalism. Même pas, juste une version avancée free market années 80, publicité par-dessus publicité. America. Touristes dans tous les sens. Des écrans des écrans des écrans mais pas des écrans comme on connaît l'écran d'ordinateur, l'écran de télé, pas des projections non plus comme au cinéma ou sur scène, ici les panneaux-réclames sont des systèmes d'éclairage en soi, où chaque pixel de l'image qui bouge, qui clignote sans relâche, est une mini lampe extra puissante. Les blancs sont des flashes de caméra, qui, au lieu de passer, stupeur d'une fraction de seconde, collent indéfiniment, quittent et reprennent selon une valse aléatoire tout à fait incohérente. Au niveau luminosité, le soleil a de la compétition, et il a perdu.

Et moi aussi, j'ai perdu. Times Square 1-0. Mon corps a peut-être reçu les flashes de lumière comme des éclairs dangereux par temps d'orage, au gros soleil, comme des explosions imprévisibles, en avant en arrière sur tous les côtés, en tout cas comme une situation d'où il faut se sortir immédiatement. J'ai essayé de rester, de me placer en retrait plutôt qu'en plein milieu, j'ai mis ma casquette, mes lunettes soleil, mes écouteurs pour diminuer les stimuli, je me suis concentré sur ma respiration, oui respirer plus profondément, come on je suis une bibliothèque à mécanismes de défense; je me suis assis à une table, je me suis éloigné aussitôt, j'ai été parler deux secondes à une musicienne que j'ai reconnue, Kwami qui joue dans Many Many Girls que j'avais vu l'avant-veille, visage familier, présence rassurante, j'ai quand même senti mes genoux fléchir, gotta go, je suis parti vite, repéré Bryant Park, oui fixer un arbre me ramènerait peut-être, le parc est une fourmilière humaine, pas un pied carré sans agitation, chercher les toilettes, m'y re(com)poser un instant, s'éloigner de la foule sans succès, une eau pétillante achetés au frigidaire du CVS, blaster du Messiaen dans mes écouteurs – Harawi chant d'amour et de mort, bon choix après avoir essayé les études pour piano de Debussy bien trop stressantes –, banc dans Madison Park, repartir aussitôt, métro, appart. Je ne suis pas sorti ce soir là! Je suis déçu d'avoir manqué le show de Corrine Jasmin à Times Square, qui avait l'air vraiment cool and chill and inspirante.

Et surtout je me suis trouvé vraiment loser d'avoir cette réaction à quelque chose d'aussi banal qu'une attraction touristique commerciale. Symphonie de la consommation, oui c'est « le carrefour du monde » bla bla bla, 365 000 personnes passent là tous les jours ok, mais au final il n'y a comme « rien » à Times Square. Dans les médias qu'on regarde, qu'on écoute, il y a le contenu, qui m'intéresse, et les annonces, qui interrompent. Times Square c'est « rien » dans le sens que ce n'est que l'interruption, sans qu'il y ait le contenu.

Jeudi 10 août

Je m'étais fait tout un plan de journée lavage séchage étendage pliage business exercices violoncelle natation concert. Je n'ai pas respecté le plan finalement, mais j'ai bel et bien fait mon premier lavage. Moment important du voyage. Comme le moment où on prend ses clés de maison et on les range dans sa valise, en voulant dire : je suis arrivé. Et le premier lavage : je suis vraiment ici. Pendant le lavage, j'ai bien envoyé au moins 4 emails business. Planifier novembre 2024. Eh oui. Aussi, j'ai essayé le rouleau en mousse (back roller) que j'avais spotté dans un garde-robe ici et que je soupçonne avoir appartenu à Marie Chouinard. J'ai suivi une séquence d'exercices sur youtube et ça a fait vraiment du bien, après tout ce stress et les longues marches. Puis, une bonne pratique de violoncelle. Pas de nouvelles du voisin. Puis j'ai été lire et boire un americano trop cher dans un café pas loin. Il pleuvait beaucoup, c'était très beau.

J'ai pris ma revanche sur Times Square, où je suis retourné, armé de mon parapluie. J'ai passé le nuage de fumée de saucisses, subi les flashes permanents, absorbé toute l'overload en enseignant à mon cerveau que c'était safe. Pas question que je me laisse intimider par cette affaire de touriste là! 

Times Square 1-1

Ensuite j'ai fait mon épicerie au Target, dont je prononce parfois la finale dans ma tête à la française comme « budget ». Tarjet. C'est Tyler Oakley qui m'a appris ça. Comme si c'était classy. Mais non. Pas mal les mêmes prix qu'au Whole Foods. Il y avait des dumplings, un bon souper ça. Puis j'ai été voir un concert vraiment hot.

10 août @ The Stone at the New School, West Village Manhattan
duo [Brian Chase (drums), Zeena Parkins (harpe électrique, électroniques)]

Haute voltige. Le drummer en laissait pas passer une, vraiment hyperactif tout en restant assez doux avec des gros build up parfois. La harpiste en déséquilibre constant, dans le bon sens. Je lis sur elle ce matin et j'apprends que c'est elle qui jouait la harpe sur le Unplugged de Hole! Elle a aussi joué avec Yoko Ono, Björk, Lee Renaldo, Pauline Oliveros, John Zorn, Anthony Braxton... ok elle a fait le tour. En même temps, elle a l'air très approchable, genre friendly, j'ai aimé l'espèce de maladresse qui est toujours là dans son jeu. Elle lançait un nouvel album appelé Lace, où Brian Chase ne joue même pas. Pourquoi pas! J'écoute leur duo en 2019 et c'est pas mal ce que j'ai entendu hier. Je me demande si Zeena se prononce djina, Gina, comme le philosophe Žižek se prononce jijek.

Ah les internets! Quelques mots du guitariste de Hole au sujet de la collaboration pour leur Unplugged : « I loved working with Erik [Friedlander, violoncelle], Zeena [Parkins, harpe], and Ralph [Carney, clarinette, tuba, horns]. As musicians, they were way out of our league, but somehow, the melding of their free jazz-slash-John Zorn training with our ethos worked. I wish I could’ve dug in deeper with them. [...] [Courtney Love] kept trying to add songs right up until the last rehearsal and trying to write new ones. I could tell when Erik, Zeena and Ralph were put off by her divadom at times, so Hal and I tried to assuage them. » Assuage. Ouais, pas facile Courtney Love.

En revenant du concert, je suis arrêté pas loin dans un bar où il y avait des drag queens que mes amis connaissent : Jax et LaBeija. La drag n'est vraiment pas une forme d'art avec laquelle j'ai beaucoup d'affinités. Puis deux pointes de pizza et une bouteille d'eau pour 3,50$, ça c'est un deal.

Vendredi 11 août

J'ai commencé à prendre l'ascenseur de temps en temps pour monter au 4e étage, mais je ne me résous toujours pas à utiliser le lave-vaisselle. Alors j'ai ça à faire, pas mal de vaisselle, puis je me reprends pour la piscine que j'ai foxée hier, puis je n'ai même pas encore regardé pour la suite.

Voir des gens comme Zeena Parkins, ça donne vraiment envie de se dépasser.