mercredi 26 juillet 2017

Naked State : Jours 3, 4, 5

Matin du Jour 5. Je fais des toasts dorées pour tout le monde.

J’ai rêvé que j’habitais avec un coloc et que je me rendais compte, au bout d’un an, qu’une des portes de notre appartement donnait sur une pièce énorme, plus grande que tout le reste. Je me souvenais d’avoir vu cette grande pièce en visitant et me demandais comment j’avais pu l’oublier pendant si longtemps. Des amis venaient célébrer.

Je fais des toasts dorées pour tout le monde mais on n’a qu’un rond de poêle de camping qui ne chauffe pas bien. Je finis la cuisson au four grille-pain. Étranges conditions de cuisine à « the Clubhouse », bâtiment principal de Bare Oaks. Comptoir d’accueil, dépanneur, laveuses-sécheuses, « Bare Bistro » intérieur et terrasse, douches, piscine creusée, bain tourbillon, deux saunas secs — qui pourraient être plus chauds — , deux tables de billard, salle de musculation, …

J’ai rêvé que je mourrais suite à l’attaque des extra-terrestres. J’étais avec des membres de la famille. Condo moderne dans une grande ville, genre Toronto. Je voyais au loin un scintillement dans le ciel bleu. Grappe de grands disques de lumière blanche intermittente et transparente. J’invitais tout le monde à admirer ça sur la terrasse. D’autres grappes de paillettes s’ajoutaient jusqu’à ce que le ciel en soit rempli. Réfléchissements immatériels qui enlevaient au paysage sa profondeur. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que ça. Et que je me rende compte que j'étais enseveli jusqu’au cou. Enterré vivant dans un sable mouvant de paillettes.

Après les toasts dorées je vais un lavage à 3$. « Même les naturistes doivent faire leur lavage de temps en temps. », nous avait-on dit. Je m’installe au Bistro pour écrire en attendant. C’était mon plan du matin.

J’écris que j’écris, brisant une de mes règles d’art personnelles : ne pas écrire qu’on écrit, chanter qu’on chante, faire un film où les personnages font un film, faire du théâtre sur des gens qui font du théâtre.

J'écris que j'écris, première prise.

Jour 3


Après un matin à déjeuner aux barres Cliff avec un peu de gestion des déjeuners, je n’ai pas été très productif le Jour 3. Il mouillassait, rien de bien inspirant pour le violoncelle, surtout après avoir constaté l’effet des gouttelettes d’eau sur le vernis lors de ma session du Jour 1. J’ai donc écrit une bonne partie du Jour 3, attendu que mon ordinateur traite l’enregistrement du Jour 2, uploadé le tout lentement avec les données de mon cell. J’ai fini juste à temps pour 20 h, présentation sur le naturisme.

Parenthèse au présent. 
Jour 5 au Bistro, en avant-midi. J’ai mis mes écouteurs pour ne pas être dérangé — tout le monde ici a vraiment envie de faire du small talk, j’en prends une pause — mais je n’écoute rien. À la radio : « I ain’t no hollaback girl, I ain’t no hollaback girl », on ne s’en sort pas. Bare Oaks est loin d’être une communauté alternative qui rejetterait le mainstream.

Parenthèse sur les pénis et les seins. 
Je vois toutes sortes de pénis et de seins ici. En particulier, il y a une majorité de très petits pénis, le genre de pénis qu’on ne voit jamais, même pas dans les livres d’anatomie, mais qui doivent être très communs à en juger par l’échantillonnage constaté ici, d’une longueur d’environ moins d’un pouce — au repos bien sûr, je ne suis pas près de voir une érection dans cet environnement hyper-désexualisé — , qui semble rentrer par en dedans, dépassant à peine l’épaisseur des testicules en dessous. 
Pour ce qui est des seins, il y a une majorité de gros seins tombants, bien séparés et dont les mamelons sont parfois couleur peau — finalement Bare Oaks est en très forte majorité peuplé de blancs — , parfois plus rosés, parfois petits, parfois plus larges. Encore une fois, des formes de seins qu’on ne voit nulle part. 
Les médias nous mentent. Images idéalisées projetées dans l’espace public.
La science nous ment. Images standardisées décuplant le médiatique.
La société nous ment. Images cachées, devinées, mythifiées.
Peu savent de quoi le corps humain a l’air dans sa diversité.
Une partie de sa diversité. 
23 août 2016, Berlin. « C'est une sacrée leçon d'anatomie humaine que de voir tous ces corps, majoritairement des hommes un peu plus vieux, majoritairement des corps très imparfaits qu'on ne voit jamais nulle part mais qui, finalement, sont partout, sous les vêtements, bien plus que les corps de modèles. »

Présentation sur le naturisme


Le Jour 3 s’est donc terminé par une présentation de Stéphane Deschênes, propriétaire de Bare Oaks. Il enseigne le cours « Public Nudity : History, Law and Science » au département de sociologie de l’Université de Toronto. J’ai pris des notes.

Introduction


Dans le kit envoyé par la NASA aux extra-terrestres dans les années ’70, il y a un dessin de deux humains nus. Il semble qu’il y ait eu tout un débat à l’époque, résultant en ou résultat de l’absence de crack de vagin sur le personnage « femme ». Les deux humains étaient supposé avoir des traits de toutes les nationalités mais ont fini par avoir des traits typiquement américains. Typiquement américain.

Anthropologie de la nudité


Si on croit à l’évolution du singe à l’humain, on peut se demander à quel moment l’humain perd sa fourrure (pour la plupart). C’est une question qui intéresse de nombreux scientifiques (semble-t-il). Ça se serait passé il y a 3 millions d’années alors que l’apparition des vêtements ne daterait que d’il y a maximum 100 000 ans (des recherches sur l’ADN des parasites de vêtements le prouvent). Le corps humain aurait graduellement perdu ses poils parce qu’il se tient debout (les cheveux restent pour protéger la tête et les épaules, si on ne les coupe pas), parce qu’il est actif (à l’époque) et parce qu’il sue (ce serait la raison principale). Paraîtrait qu’on a le meilleur système de refroidissement corporel de tout le règne animal (ce qui explique aussi qu’on a le plus gros cerveau, bien au frais dans sa boîte crânienne). La conclusion de l’exposé anthropologique est qu’on peut être fier de notre corps et qu’il n’y a rien de « primitif » à se promener nu. En tout cas.

Histoire du naturisme


Ou plutôt, « Histoire récente du naturisme en occident » [NDLR]. Ça commence évidemment en Allemagne. Heinrich Pudor et Richard Ungewitter publient entre 1893 et 1906 des livres qui font la promotion de la nudité occasionnelle, au soleil, dans un contexte de saine habitude corporelle. Les personnes qui survivent à la tuberculose, entre autres, sont celles qui ont le luxe d’être amenées nues au soleil quotidiennement. Paul Zimmermann ouvre le premier endroit consacré à cette culture du corps libre au soleil, le Freilichtpark en 1903. Aujourd’hui encore, on identifie en Allemagne le nudisme et le naturisme par le terme Freikörperkultur (FKK),  dont j’ai déjà parlé (première mention le 23 juin 2008, quelques paragraphes le 14 mai 2016).

La France prend ensuite le relais avec les docteurs Durville qui introduisent le terme « naturisme », toujours dans l’optique de la santé. Marcel Kienné de Mongeot parle quant à lui de « gymnité » (du grec « gymnos », nu) et de libre culture. C’est enfin Albert et Christiane Lecocq qui ouvrent plusieurs centres naturistes. Il semble que, grâce à l’océan et la température, la France soit aujourd’hui là où ça se passe pour le tourisme de naturisme.

En Amérique du nord, Maurice Parmelee revient aux États-Unis après avoir découvert le FKK en Allemagne. Il publie « The New Gymnosophy » en 1927. Le livre est réédité sous le nom « Nudism In Modern Life », coup de marketing intéressant, introduisant la gymnosophie (philosophie de la nudité?) puis le terme « nudisme ».

Ce serait donc pourquoi on a les termes « naturisme » et « nudisme », le premier hérité de la France, le deuxième d’un coup de pub so American.

Niveaux de naturisme


Stéphane Deschênes distingue plusieurs niveaux d’implication naturiste. Les « textiles » ne pratiquent pas le naturisme du tout; les « naturistes récréatifs » pratiquent le naturisme à l’occasion, en vacances, comme alternative pratique au costume de bain; les « naturistes éthiques » font du naturisme une philosophie de vie, s’identifient comme naturistes même lorsqu’ils doivent porter des vêtements — c’est le cas de Stéphane, on se demande s’il donne toujours son cours nu [mise-à-jour alors que je transcris ceci à 19 h 30, non, il n’enseigne pas nu à l’Université de Toronto] — , trouvent un sens à la nudité comme signe de respect et d’authenticité, croient aux bénéfices du naturisme pour la santé corporelle et comme façon d’améliorer la société; les « extrémistes » pratiquent le naturisme sans compromis, on nous dit qu’ils viennent ici faire de la raquette et du patin nus tout l’hiver.

Conclusion


La présentation s’est terminée avec les raisons pour lesquelles Bare Oaks impose la nudité à ses membres et ses visiteurs — n’est pas clothing-optional — et le futur du naturisme comme expérience humaine d’authenticité.

Discussion


Je conserve une vision positive du naturisme tout en constatant les failles de plusieurs de ses justifications. J’aurais voulu que les naturistes soient des radicaux, des gens pour qui le désir de connecter avec la nature — élément présent dans toutes les définitions du naturisme — , pour qui la vision d’une société plus inclusive ouverte et harmonieuse sont si forts qu’ils choisissent de se créer une microsociété parallèle, un endroit qui repense fondamentalement la façon d’interagir avec la nature, qui repense le concept même de nature, bien au-delà de la nudité.

L’environnementalisme à Bare Oaks est présent mais limité. On recycle, on se ramasse, on utilise des produits écolo comme partout. Par contre on arrose encore le gazon quand il pleut, on taille le gazon (très vert) très proprement, même dans le « sentier » derrière le site, il y a des toilettes chimiques en plus des toilettes régulières, des chaises de patio et un paquet d’équipements en plastique, la fontaine du lac artificiel fonctionne 24 h sur 24, il y a des machines à café Keurig avec les petites recharges de plastique individuelles, etc. C’est la vie de banlieue la plus décomplexée.

Le corps nu est peut-être une porte, une façon de se placer en marge et se réinventer. Le corps nu est peut-être un filtre aux gens trop fermés d’esprit. Mais le problème du respect de la nature, le concept même de connexion avec la nature, est loin d’être attaqué par la racine.

La question de l’authenticité m’intéresse. Quand est-ce que je suis vraiment authentique dans ce que je crée, dans ma façon de me présenter? Peut-on être vraiment authentique? Pour les naturistes, le fait d’être nu représente une voie sinon une garantie d’authenticité. Selon eux, nu on ne peut pas cacher notre identité véritable sous les vêtements ou derrière l’ordinateur; on ne peut plus distinguer l’avocat du sans-abri lorsqu'ils sont nus.

Même en faisant attention de ne pas mêler cause et conséquence, je n’achète pas l’argument. D’une part, il y a moyen d’être soi-même avec des vêtements — la moustache énorme de Stéphane Deschênes n’est-elle pas elle-même un vêtement? Dans le sens d’une parure que l’on ne porte pas pour survivre au climat nordique mais pour exprimer une partie de qui on est. — , d’autre part on peut très bien mentir à tous vents en nudité corporelle complète.

Admettons que les vêtements servent vraiment à cacher quelque chose, quelque chose que l’on ne peut plus cacher sans eux — c’est un argument qui semble évident pour plusieurs ici — , alors, outre le corps lui-même, qu’est-ce que ce « quelque chose » que l’on cacherair? Je n’arrive à trouver aucun exemple satisfaisant.

Jour 4


Après-midi du Jour 5. À « the Outback », notre studio d’artistes. Sidi réfléchit, assis devant sa longue peinture; Jamie la danseuse fait brûler une feuille d’arbre dehors; Dee est à la machine à coudre, Maddie à l’ordinateur; Júlia continue sa collection de petites aquarelles; Cyn discute avec un des anciens de Bare Oaks, car elle tient à connaître la personne dont elle fera la sculpture plus tard; et moi j’écris depuis que je suis levé.

J’écris que j’écris, deuxième prise.

Café de la Keurig, le temps semble figé, les nuages un haut cercueil clair et immobile.
J’enlève mon pantalon sans y penser.

Plus de deux heures et demi de musique à écouter, enregistrée hier, Jour 4.

Matin du Jour 4.
Échauffement Gaga sur le bord du lac.
Crème solaire pour la première fois depuis longtemps. Ark la texture.
Chasse-moustiques pour la première fois depuis encore plus longtemps.
La moitié de la petite bouteille.

Jouer dans la « forêt ». Jouer la forêt. Être l’extérieur.
À la croisée de chemins, triangle d’herbe où poussent quelques fleurs mauve.

Quelques gammes pour commencer.

Première session, 53 min.

Trois paramètres : j’exprime la lumière par la hauteur de note, le vent par l’intensité du jeu, le soleil occasionnel sur ma peau par le vibrato.



Deuxième session, 95 min.

Deux paramètres : J’exprime encore le vent par l’intensité du jeu — et je me permet de tricher beaucoup — , j’interagis avec les oiseaux. Vers la fin, j’explore différentes façons de bouger, de me déplacer avec le violoncelle en jouant.
Note : J’ai accordé la corde grave beaucoup plus bas qu’à l’habitude. Sol. C’est la première fois que je fais ça. Inspiration de la nature?



Troisième session, 9 min.

Aucun paramètre : Présentation à 5:05 PM. Performer l’intérieur. Faire confiance à l’intégration du processus. Société de juges à petite échelle, vous m’avez encore et je n'uploade pas le vidéo.


Jour 5


En ce Jour 4, j’ai donc joué l’extérieur en partant du principe — et c’est en travaillant sur ce texte que je m’en rends compte — que pour entendre l’influence complète de l’extérieur, il faut bien qu’il y ait quelque chose à influencer. Autrement dit, je place un son que je tiens puis je laisse l’extérieur agir dessus. Dans la deuxième session, par exemple, j’installe une note grave, que je tiens pendant une heure et demi, et en fait varier l’intensité avec les poussées du vent. L’approche de la première session me semble plus proche de ce que je veux accomplir : c’est la brillance de la lumière qui m’indique la hauteur de note sur laquelle les poussées de vent agiront. Le choix de jouer un intervalle plutôt qu’une note seule, et le choix de cet intervalle sont toutefois arbitraires.

Mes réponses aux stimuli de l’extérieur sont déjà plus rapides qu’au Jour 2.
Je souhaite précisément me retirer complètement du processus créatif.
Laisser l’extérieur décider de tous les paramètres.
Remplacer l’intérieur par l’extérieur.

Puis revenir.

Aujourd'hui, Jour 5, j'ai écrit toute la journée. Puis j'ai transcrit. Il est 20 h 45 [mise-à-jour, je finis de me relire et corriger à 23 h, à « the Outback ». J'ai nagé dans le lac sous la pluie à 21 h].
Faire des fichiers vidéo avec les enregistrements. Convertir, uploader. Go.

J'écris que j'ai écrit. Troisième prise you're out.



1 commentaire:

  1. Le contexte nudiste nord-américain est par trop influencé par le passé religieux (catholique autant que presbytérien). Voilà pourquoi on prétends rechercher ce contact avec la nature, tout en cherchant justification avec un regard vers le passé physique de l'humain.

    Je crois sincèrement que tout cela cache une démarche beaucoup plus égoïste et personnelle d'acceptation de soi. Tu le dis bien, le corps humain ressemble fort peu à l'image qu'on nous en donne en général. En étant moyennement objectif, on s'en trouve presqu'automatiquement assez correct, voir pas mal du tout. De là, tout un processus s'enclenche d'auto-promotion auprès de notre petit ego!

    Enfin, je crois que toute transformation du corps tout autant que tout vêtement sont costumes. Je pense qu'on s'habille en fonction des événements et des autres. Et c'est très bien comme ça. Le vêtement permet de s'exprimer certes, et le traitement qu'on impose aux cheveux, poils faciaux, les tatouages, piercings et autres modifications de notre corps font aussi partie de ces vêtements/costumes.

    Nudisme urbanisé sous les vêtements...

    RépondreEffacer